jeudi 15 octobre 2015

Les stratégies de sortie de crise

Les stratégies de sortie de crise







Les déficits publics alimentent toujours la demande, mais plus nécessairement la demande intérieure, ils peuvent bénéficier aussi et même davantage aux autres pays. Plus le pays est ouvert sur l'extérieur et moins les politiques de relance keynésienne sont efficaces. Dans tous les cas, les déficits ont pour principal effet négatif d’accroître la dette publique. Or, depuis que les déficits ne sont plus financés par la planche à billets, la dette doit pouvoir être remboursée, elle pèse donc sur l’avenir. Mais sur l’avenir de qui, précisément ? Dans les pays les plus endettés, les riches sont partis ou ont déjà un pied dehors. La dette devra être payée par ceux qui ne pourront que rester, faute de moyens, c’est-à-dire l’immense majorité des classes moyennes et populaires.
Dans un monde sans croissance comme nous le connaissons, l’accumulation globale est faible, voire nulle, si bien que l’enrichissement des uns n’est possible que grâce à l’appauvrissement des autres. Les déficits publics permettent ainsi aux riches de continuer à s’enrichir grâce à l’appauvrissement de l’Etat, ils créent une richesse privée, mobile, en contrepartie d’une dette collective liée au territoire, ils ne peuvent clairement plus être considérés comme un instrument au service du plus grand nombre.
Mais la libéralisation des mouvements de capitaux a aussi pour effet de mettre les salariés des pays développés en concurrence avec l’immense masse des salariés sous-payés des pays émergents. Les rapports entre le capital et le travail ont donc été bouleversés en faveur du capital. La conséquence en est inéluctable : dans tous les pays développés, les forces du marché tendent à faire baisser les salaires jusqu’à les faire atteindre des niveaux proches de ceux des pays émergents. Ceux qui s'opposent à la baisse des salaires par des mesures administratives risquent alors de connaître le chômage de masse et l’explosion des mécanismes de protection sociale.
La libéralisation des mouvements de capitaux n'est cependant pas seule en cause. La libre circulation des biens et des services suffit à elle seule à imposer à tous les pays une structure commune des rémunérations entre les différentes catégories de salariés. Or, les salariés peu qualifiés des pays développés sont relativement mieux payés que leurs homologues des pays émergents, ce sont donc eux qui subissent la plus forte pression à la baisse sur leurs revenus.
Puisque la mondialisation a réintégré dans les circuits commerciaux une grande masse de salariés pauvres, la solution bénéfique au plus grand nombre serait de faire croître le capital productif dans les mêmes proportions que la main d'œuvre effectivement disponible. Pour cela, il faudrait pouvoir faire baisser significativement le coût du capital, c'est-à-dire le taux de profit. Malheureusement, le monde actuel ne se caractérise pas seulement par la mondialisation, mais aussi par l'extrême développement des activités spéculatives. Or, en offrant aux investisseurs des placements particulièrement rémunérateurs, ces activités imposent à l'ensemble de l'économie des taux de profit très élevés, c'est-à-dire qu'elles constituent un obstacle majeur au développement du capital productif au niveau mondial.
Le problème est qu'il est très difficile d'éradiquer la spéculation financière car cela supposerait une action forte et coordonnée de l'ensemble des pays. En l'absence d'une telle perspective dans un avenir proche, seules des actions au niveau d'un pays ou d'un groupe de pays peuvent s'avérer efficaces.
Au niveau national, les conséquences politiques de la mondialisation sont immenses. Si elle a incontestablement été un facteur de progrès dans de nombreux pays pauvres, elle a aussi permis aux différentes classes sociales de briser les liens qui les contraignaient à un minimum de solidarité. Les classes supérieures se sont internationalisées, les classes moyennes des pays développés doutent. Traditionnellement proches des classes supérieures par leur rejet des classes populaires, elles se sentent abandonnées par leurs alliés mais peinent à y croire. Elles espèrent qu'il suffirait de supporter des sacrifices quelques années pour que tout redevienne comme avant, ou bien qu'il leur sera toujours possible de fuir à l’étranger. Elles pensent même parfois que tout irait mieux si les classes populaires se résignaient enfin à réduire leur niveau de vie.
Mais la réalité est que, trop chères au regard des normes internationales, les classes moyennes occidentales apparaissent de plus en plus comme un fardeau qu'il convient d'alléger, si bien que rien n’arrêtera leur longue glissade vers les classes populaires. Contraintes de supporter ensemble le poids de la dette publique, les classes moyennes et populaires devraient comprendre qu’elles sont liées par le même destin. En acceptant démocratiquement les nouvelles règles du jeu économique, elles se sont condamnées elles-mêmes au déclin et c’est uniquement en changeant à nouveau les règles du jeu qu’elles pourront échapper au naufrage.
Les lois économiques sont bien incertaines et changeantes. Pourtant, il en est une universelle et intemporelle : les hommes ne peuvent vivre sans avoir accès aux ressources naturelles, aux infrastructures, aux machines et au savoir, c’est-à-dire au capital. Pour vivre, il faut donc nécessairement, soit posséder le capital, soit être lié à ceux qui le possèdent. Or, la libéralisation des mouvements de capitaux a rompu le lien qui unissait les classes supérieures propriétaires du capital aux classes moyennes et populaires vivant principalement de leur travail.
Pour espérer retrouver leur place dans la société, les classes moyennes et populaires n’ont donc que deux solutions : soit rétablir le lien qui les unissait au capital des classes supérieures, soit constituer leur propre capital.

La théorie keynésienne

La théorie keynésienne repose sur l'analyse, au niveau macroéconomique, de l'articulation entre l'accumulation et la demande. L'accumulation est recherchée aussi bien par les entreprises que par les ménages, les entreprises investissent pour se développer et améliorer leur compétitivité, les ménages épargnent une partie de leur revenu pour accroître leur patrimoine.
Au niveau de l'économie globale, la seule possibilité d'accumulation réside dans l'investissement net
Au niveau de l'économie globale, la seule possibilité d'accumulation réside dans l'investissement net puisque celui-ci correspond à l'accroissement de richesse réelle, l'épargne n'en étant que la contrepartie. Si l'on fait l'hypothèse que les entreprises distribuent tout leur revenu aux ménages, cela implique que l'épargne des ménages est déterminée par l'investissement net des entreprises.
En l'absence de croissance, le capital fixe des entreprises se stabilise et leur investissement net s'annule. La conséquence en est que l'épargne des ménages s'annule aussi. C'est ici qu'intervient le rôle de la demande.
La demande des ménages correspond à leur consommation. Celle-ci génère une production qui elle-même génère des revenus pour les entreprises, ces revenus sont distribués aux ménages. Le problème est que, du fait de leur désir d'accumulation, les ménages n'utilisent qu'une partie de leur revenu pour consommer. La demande des ménages est donc toujours inférieure à la production qu'elle génère, si bien qu'elle ne suffit pas à maintenir l'activité. Pour initier et développer la production, une autre demande, que l'on peut qualifier de primaire, est nécessaire. Dans une économie en croissance, c'est l'investissement net des entreprises qui joue le rôle de demande primaire.
Le blocage de l'accumulation provoque l'effondrement de la demande
En l'absence de croissance, l'investissement net s'annule, il n'y a plus de demande primaire, la demande des ménages ne peut suffire à maintenir l'activité, c'est la crise. Le blocage de l'accumulation provoque donc l'effondrement de la demande. La conséquence en est qu'une économie ne peut rester en régime stationnaire sans intervention extérieure, soit elle est en croissance, soit elle est en dépression. Pour remédier à cet inconvénient, les politiques dites keynésiennes consistent à compenser l'insuffisance de la demande des entreprises par la demande de l'État.
Les politiques keynésiennes consistent à compenser l'insuffisance de la demande des entreprises par la demande de l'État
L'État exerce une action positive sur la demande par ses dépenses, une action négative par ses impôts. Son impact réel sur la demande provient donc du déficit public, c'est lui qui va jouer le rôle de demande primaire lorsque l'investissement des entreprises est défaillant. Les politiques keynésiennes reposent sur l'hypothèse que, malgré une succession de périodes de surchauffe et de dépression, l'économie connaît une croissance de long terme. Pour lisser l'activité, l'État intervient lors des phases dépressives en stimulant la demande par des déficits, lors des phases de croissance il compense par des excédents.
Le problème est qu'en l'absence de croissance de long terme, les déficits l'emportent sur les excédents et la dette publique s'envole, du moins lorsqu'on s'interdit de financer les déficits publics par création monétaire. Or, la croissance a commencé à s'épuiser dès la fin des années soixante. La croissance de la consommation est devenue moins dynamique, puis la première crise pétrolière a marqué la fin de l'énergie bon marché. L'épuisement des ressources naturelles et les contraintes liées à l'environnement ont ainsi mis fin au modèle de croissance que connaissait le monde depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Les économies ont alors tenté de s'adapter en mettant en place la mondialisation.

La mondialisation

La mondialisation a eu raison des politiques keynésiennes de relance par la demande dans la plupart des pays. En effet, la théorie keynésienne a été définie dans le cadre d'une économie fermée – ce qui ne lui enlève pas tout son intérêt car l'économie mondiale considérée comme un tout est une économie fermée – si bien qu'elle semble peu adaptée à une économie ouverte puisque, sous l'effet conjugué de la libéralisation des échanges et de la faiblesse de la croissance, ce sont les exportations – ou plus précisément l'excédent de la balance commerciale – qui viennent se substituer à l'investissement net comme principale composante de la demande primaire.
Les conséquences en sont extrêmement importantes. En effet, les salariés qui apparaissaient au niveau macroéconomique comme des consommateurs tirant la croissance, sont de plus en plus considérés comme de simples éléments de coût. En outre, dans une économie mondialisée, un accroissement de la demande intérieure se traduit souvent davantage par une hausse des importations que par une hausse de la production nationale. Les politiques de la demande ont alors fait place dans de nombreux pays à des politiques de l'offre, c'est-à-dire à des politiques visant à faire baisser les coûts de production par une réduction des salaires et des impôts de manière à pouvoir concurrencer efficacement les autres pays.
Il convient ici de souligner le rôle fondamental, mais trop souvent sous-estimé, joué par la liberté de circulation des capitaux. En effet, en l'absence de mouvements de capitaux entre pays, exportations et importations s'équilibrent grâce au taux de change, c'est-à-dire qu'en l'absence de politique de change volontariste, les échanges extérieurs ne peuvent pas tirer la croissance. On se retrouve alors dans la même situation que dans une économie fermée, c'est-à-dire une économie où la théorie keynésienne s'applique.
Mais, si les capitaux peuvent circuler librement, l'équilibre de la balance commerciale n'est plus nécessairement assuré car un déficit de la balance commerciale peut être couvert par des entrées de capitaux et, inversement, un excédent durable de la balance commerciales est rendu possible par des sorties de capitaux. Autrement dit, les exportations de biens et services ne servent plus uniquement à financer les importations, mais aussi à acquérir des actifs financiers dans d'autres pays. De cette façon, la poursuite de l'accumulation des ménages est rendue possible, non plus seulement grâce à l'investissement net intérieur, mais aussi grâce à l'accumulation d'actifs financiers étrangers.
La concurrence entre pays devient alors un enjeu majeur car, pour l'ensemble du monde, le total des exportations est nécessairement égal à celui des importations, si bien qu'un excédent de la balance commerciale pour un pays n'est possible que si d'autres pays connaissent des déficits.
La liberté de circulation des capitaux ne fait pas qu'accentuer la guerre économique que se livrent les pays, elle en modifie aussi les règles. En effet, lorsque les capitaux peuvent circuler librement, les taux de profit tendent à s'égaliser dans tous les pays, si bien que, pour espérer pouvoir financer ses investissements et donc maintenir ou développer ses capacités de production, un pays doit pouvoir garantir des taux de profit au moins égaux à ceux du reste du monde. La guerre économique devient alors avant tout une guerre des taux de profit, le pays le plus efficace pouvant ainsi aussi bien être celui qui est capable de maintenir les salaires les plus bas que celui qui est le plus productif.
La libéralisation des mouvements de capitaux a donc bouleversé les rapports de force entre pays. Certains pays jusque-là peu développés, sont devenus très compétitifs grâce à leur capacité à exploiter la main-d'œuvre. À l'inverse, des pays disposant d'une main-d'œuvre bien formée, mais moins docile, ont commencé à décliner.
Ce bouleversement des rapports de force s'est traduit par des investissements massifs dans les pays qui, grâce à leur main-d'œuvre à bas coût, sont apparus comme de nouveaux eldorados pour les capitaux. C'est ainsi que la libéralisation des échanges de biens et de capitaux a, dans un premier temps, eu des conséquences positives sur la croissance en permettant de forts investissements dans les pays émergents, ce qui fut incontestablement un argument décisif pour la faire accepter.
Mais la mondialisation s'est aussi accompagnée d'une financiarisation extrême de l'économie.

La spéculation

La spéculation financière est devenue une activité économique à part entière qui entre en concurrence avec les activités productives
La financiarisation de l'économie s'est accompagnée d'un phénomène qui existait déjà du temps de Keynes mais qui a pris une ampleur telle qu'il modifie en profondeur le fonctionnement de l'économie, ce phénomène est la spéculation financière. Elle est, en effet, devenue une activité économique à part entière qui entre en concurrence avec les activités productives.
La spéculation financière est un jeu à somme nulle, c'est-à-dire que ce qui est gagné par l'un est nécessairement perdu par l'autre. Elle ne pourrait se développer si tous les agents partaient à égalité. Mais la théorie des probabilités enseigne que, dans un tel jeu, celui qui peut supporter les plus grosses pertes, généralement le plus riche, a la plus grande chance de gagner. Quand s'y ajoute un avantage en termes d'information et de compétence, le gain est quasi certain. Les banques qui spéculent avec leurs traders sont précisément dans ce cas.
La spéculation financière a, du point de vue économique, des effets assez proches de ceux des pillages d'autrefois, elle prélève ses gains sur les patrimoines des perdants pour les redistribuer sous forme de revenus aux vainqueurs. De ce point de vue, elle joue un rôle de stimulant pour l'activité économique. Cependant, comme ceux du pillage, les principaux effets de la spéculation financière sont beaucoup moins positifs :
  • la spéculation financière accélère la concentration des richesses car, à ce jeu, le plus riche gagne ;
  • elle concurrence les activités productives car celles-ci sont généralement à la fois plus risquées et moins rémunératrices ;
  • elle oriente les activités productives vers les industries du luxe, plus rentables car moins sensibles à l'effet prix ;
  • elle maintient les taux de profit et donc le coût du capital à des niveaux élevés.
Ce dernier point est particulièrement important et lourd de conséquences à long terme. En effet, d'une part un coût du capital élevé étouffe l'investissement productif et donc la croissance, d'autre part il interdit le développement des techniques à haute intensité capitalistique, pourtant les plus productives, ce qui se traduit par un appauvrissement général. Au niveau international, il avantage les économies à faible intensité capitalistique et à bas coût du travail aux dépens des économies à haute intensité du travail et à salaires élevés.

Le pouvoir monétaire

La mondialisation, de par la libre circulation des capitaux et le développement des paradis fiscaux, a rendu très difficile le contrôle du système monétaire par les banques centrales. Les banques privées ont donc largement contribué au développement de la masse monétaire qu'a connu le monde ces dernières années. Ce développement a naturellement bénéficié principalement aux actionnaires des banques, mais pas seulement.
Ces dernières années, le système bancaire a massivement créé de la monnaie, non en accordant des crédits, mais en achetant des titres financiers. En procédant ainsi, elles s'attribuent sans contrepartie une part des actifs disponibles sur le marché, ce qui pourrait être perçu comme un vol par les autres propriétaires d'actifs. Pourtant, il n'en est rien. En effet, les achats de titres financiers génèrent une hausse des cours qui se diffuse progressivement à l'ensemble des actifs non produits. Or, les actifs sont d'abord une réserve de valeur pour ceux qui les détiennent, c'est-à-dire que les propriétaires d'actifs jugent de leur valeur par leur pouvoir d'achat en biens et services, si bien que la hausse des cours des actifs leur apparaît positive.
La monnaie émise à l'occasion des achats de titres par les banques est, dans sa plus grande part, conservée par les agents économiques pour effectuer leurs opérations financières, seule une part relativement faible est injectée dans le circuit de la consommation et principalement sous forme d'achat de biens de luxe ne figurant pas dans les indices officiels de prix à la consommation. La création monétaire par achat de titres financiers est donc peu inflationniste.
La création monétaire modifie les rapports entre ceux qui produisent la richesse et ceux qui la détiennent
La création monétaire par achat de titres correspond à une acquisition sans contrepartie de droits potentiels sur les produits disponibles sur le marché. Tant que ces droits restent potentiels, ils ne génèrent pas d'inflation mais seulement une hausse des cours des actifs financiers, si bien que la création monétaire ne semble pénaliser personne. À l'inverse, lorsque la création monétaire est la contrepartie d'acquisition de produits comme c'est le cas lors du financement monétaire des déficits publics, elle se traduit par de l'inflation, c'est-à-dire par une hausse des prix des produits par rapport aux prix des actifs financiers. Celui qui détient le pouvoir d'émission monétaire ne se contente donc pas d'en tirer profit pour son propre compte, il modifie aussi les rapports entre le travail et le patrimoine, c'est-à-dire entre ceux qui produisent la richesse et ceux qui la détiennent.
À cause de la spéculation, la croissance de la masse monétaire n'est plus favorable à l'investissement
La création monétaire est généralement présentée comme favorable à l'investissement. Du fait du développement des activités spéculatives, ce n'est plus le cas. En effet, la croissance de la masse monétaire a des impacts différents sur le taux de profit des activités productives et des activités spéculatives. Dans les activités productives, la croissance de la masse monétaire provoque une hausse du cours des actions mais elle n'a pas d'impact direct sur les bénéfices, elle se traduit donc par une baisse des taux de profit. Dans les activités spéculatives, ce n'est pas le cas. En effet, le taux de profit dépend uniquement des fluctuations relatives des cours et est indépendant de leur niveau absolu. Par exemple, une action achetée lorsque l'indice de son cours est à 100 et revendue lorsqu'il est à 110 génère un profit de 10% et cela que le cours initial soit de 1000, de 2000 ou de 3000.
La croissance de la masse monétaire fait donc baisser le taux de profit dans les activités productives et le laisse inchangé dans les activités spéculatives. Par conséquent, elle pénalise les activités productives et étouffe la croissance, ce qui se traduit par du chômage et la baisse des salaires.
Ainsi, en favorisant la hausse des cours des actifs financiers et la baisse des salaires, la financiarisation de l'économie creuse, lentement, insidieusement, mais inexorablement, les inégalités sociales.
Mais on peut aller plus loin : la création monétaire constitue une subvention à la consommation des ménages les plus riches. En effet, si l'on considère le système financier comme une boîte noire, on s'aperçoit que, d'un côté, les banques injectent de la monnaie dans l'économie en achetant des titres financiers et que, de l'autre, les ménages les plus riches récupèrent une partie de la monnaie émise en vendant des titres. Ce qui est remarquable ici, c'est que la création monétaire se traduit aussi par une hausse des cours des titres et donc des plus-values qui permettent aux ménages de vendre une partie de leurs titres sans s'appauvrir. Tout se passe donc comme si les banques donnaient de la monnaie aux plus riches pour qu'ils puissent consommer et cela sans aucune compensation réelle.
En d'autres termes, la planche à billets ne finance plus les dépenses publiques mais la consommation et l'enrichissement des plus riches.
Cette dépense des plus riches induite par la création monétaire peut même prendre le rôle de demande primaire en se substituant à l'investissement productif. En effet, s'il est difficile d'admettre que la croissance des cours des actifs puisse se poursuivre indéfiniment, il faut être conscient qu'une crise financière brutale permet de régénérer le système. Par exemple, une chute imprévue du cours des actifs de 50% sera considérée comme une perte en capital, si bien que la poursuite d'une politique monétaire expansionniste se traduira par des perspectives de croissance durable des cours, c'est-à-dire par des plus-values assimilables à des revenus et donc par une reprise de la consommation.

Un problème politique

Ce que vivent la majorité des pays développés est donc une longue dégradation entrecoupée de quelques crises aiguës et non pas la phase dépressive d'un cycle économique qui serait nécessairement suivie d'une phase d'expansion.
Cette dégradation n'est pas la conséquence d'un quelconque phénomène naturel, mais de la mise en place de nouvelles règles démocratiquement acceptées par les peuples qui en souffrent. Ces nouvelles règles sont au nombre de trois :
  • la libéralisation des mouvements de capitaux ;
  • le développement de la spéculation financière ;
  • la création monétaire par achat d'actifs financiers.
Si ces nouvelles règles ont été acceptées, c'est parce qu'elles paraissaient indispensables au bon fonctionnement d'une économie de marché et que celle-ci sortait victorieuse de sa confrontation avec le monde communiste.
L'efficacité d'une économie de marché repose avant tout sur la liberté des échanges. Le principe est très simple à comprendre et c'est ce qui fait sa force. Si tous les agents économiques disposent de biens qu'ils sont libres d'échanger, ils n'entreprendront aucun échange qui irait à l'encontre de leurs intérêts et les seuls échanges effectivement réalisés seront ceux qui amélioreront la situation des différents intervenants. Ainsi, une restriction à la liberté des échanges ne peut qu'être nuisible puisqu'elle risque de s'opposer à certaines améliorations possibles.
Il est cependant utile de replacer la liberté des échanges dans le cadre d'une économie de production. Si la liberté des échanges est particulièrement utile dans ce cadre, c'est parce qu'elle permet la spécialisation des producteurs. Chacun produit dans le domaine où il est le plus performant et reçoit en échange les produits qui lui sont les plus utiles. Là encore, le principe est suffisamment simple pour être compris de tous et il apparaît difficilement discutable. De plus, le marché peut se parer d'une certaine aura morale puisque c'est seulement en satisfaisant d'abord les besoins des autres que l'on peut satisfaire ses propres besoins.
Pourtant, cette présentation ne prend en compte qu'une partie de la réalité. En effet, la question du savoir apparaît ici fondamentale car, pour produire efficacement, il faut savoir quoi produire et comment produire. Pour savoir quoi produire, il faut réaliser des études de marché ou développer ses réseaux de relations, pour savoir comment produire, il faut étudier, acquérir de l'expérience et développer la recherche-développement.
Tous ces savoirs sont décisifs car d'eux dépendent très largement les avantages qu'un agent peut retirer du marché. Mais, ce qui est commun à tous ces savoirs, c'est que l'agent qui les détient n'a aucun intérêt à les diffuser, le monopole de détention du savoir permettant soit de vendre à des prix supérieurs, soit d'acheter à des prix inférieurs. La liberté d'action laissée aux agents va donc à l'encontre de ce que les économistes appellent une situation de concurrence parfaite, c'est-à-dire une situation où tous les agents économiques disposent d'une information parfaite.
Il s'ensuit que les décisions individuelles ne vont pas nécessairement dans le sens de l'intérêt général. Ce qui est vrai pour le savoir l’est également pour les ressources naturelles. Pour vivre, les hommes doivent impérativement pouvoir accéder aux ressources naturelles comme l'eau et la terre. Or, dans une économie de marché, ces ressources appartiennent majoritairement à des propriétaires privés, c’est-à-dire des personnes à qui la société reconnaît le droit de priver les autres de l'accès à leur propriété, en l'occurrence les ressources naturelles.
Celui qui n'est pas propriétaire dépend donc pour vivre de la bonne volonté de ceux qui le sont. La question de l'utilité de la propriété privée a fait l'objet de très vifs débats mais, ce qui est certain, c'est que la propriété donne à celui qui la détient un pouvoir qui peut être monnayé et qui prend donc le caractère général du pouvoir que donne l’argent.
Dans une économie monétaire, l’accumulation du savoir et des ressources naturelles apparaît alors comme un enjeu de pouvoir. Ce qui amène à une question fondamentale : quels buts animent vraiment les hommes ? Pourquoi veulent-ils toujours davantage de richesses, davantage de pouvoir ?
Les économistes répondent le plus souvent que les hommes cherchent avant tout à améliorer leur bien-être par la consommation, si bien que celle-ci serait la finalité de l'activité économique. Pourtant, dans le monde réel, il est évident que de nombreux hommes visent, non le bien-être, mais le pouvoir. Recherche du pouvoir et recherche du bien-être ne sont pas nécessairement incompatibles mais elles le sont parfois. Le plus souvent, ceux qui estiment être en position d'accéder au pouvoir en font leur objectif principal, les autres se contentent d'aspirer au bien-être. En termes économiques, la recherche du pouvoir se traduit par un désir d'accumulation, la recherche du bien-être par un désir de consommation.
Ce que dit la théorie keynésienne, c'est que l'accumulation et la consommation, c'est-à-dire le désir de pouvoir et le désir de bien-être, sont condamnées à évoluer de pair. Mais, derrière ces concepts, il y a des groupes sociaux. Même si tous aspirent à l'accumulation et à la consommation, l'accumulation est principalement le fait des classes supérieures et la consommation celui des classes moyennes et populaires. La relation liant l'investissement et la consommation crée donc une sorte de solidarité objective entre classes sociales qui se concrétise par un sentiment d'appartenance à une même nation, celle-ci étant dirigée par un État qui peut alors légitimement prétendre agir dans le sens de l'intérêt général.
Mais cette solidarité a un coût pour les classes supérieures, la consommation des classes moyennes et populaires mobilise une part croissante des ressources naturelles, ce qui réduit d'autant la part laissée à la satisfaction de leurs propres besoins et rend difficile le maintien de l’écart entre classes sociales. Aussi, les classes supérieures ont-elles cherché à se dégager de cette solidarité contrainte qui leur apparaissait de plus en plus pesante. La mondialisation et la financiarisation de l'économie sont les deux moyens qu'elles ont trouvés pour y parvenir.
Pour les classes supérieures, les classes moyennes et populaires nationales, essentiellement composées de salariés, n’apparaissent plus comme le moteur de la croissance et donc des profits, mais comme des coûts qu’il faut réduire, l’Etat n’est plus perçu comme le représentant de l’intérêt général mais comme un prédateur dont il faut se préserver.
Si la mondialisation et la financiarisation ont été largement acceptés, c'est parce que, dans un premier temps, elles se sont concrétisés pour la majorité par un surcroît de bien-être qui a occulté, ou fait accepter, la perte de pouvoir qu'elle impliquait. Mais ces deux phénomènes ont surtout été rendus possibles par la victoire idéologique des classes supérieures.
C'est au nom des principes de fraternité, d'ouverture sur l'autre, de paix entre les peuples, c'est-à-dire au nom des valeurs dominantes chez les classes inférieures que s'est faite la mondialisation. C'est au nom de la liberté individuelle et du droit de propriété que s'est faite la financiarisation de l'économie.
Le problème est qu’en acceptant d’appliquer le principe universel de liberté aux mouvements de capitaux, les classes moyennes et populaires n’ont pas compris qu’elles coupaient de ce fait le lien objectif de solidarité qui les unissait aux classes supérieures. Et surtout, elles n’ont pas compris qu’en rompant ce lien, elles perdaient tout accès au savoir et aux ressources naturelles, elles n’ont pas compris qu’elles bénéficiaient jusqu’alors d’un accès indirect à ces ressources uniquement parce que les classes supérieures ne pouvaient les utiliser que par leur intermédiaire, elles n’ont pas compris qu’en laissant la liberté aux capitaux elles devenaient de véritables prolétaires.
Celui qui ne possède rien ne peut espérer aucune bienveillance de la part de ceux qui possèdent tout. Son seul espoir ne peut venir que de l’Etat, c’est-à-dire, dans un régime démocratique où chaque homme vaut une voix, de la force collective que donne le nombre. Encore faut-il qu’il ne renonce pas pour cela à ses valeurs, plus précisément à ses valeurs à portée universelle car, ne disposant d’aucun avantage particulier, seules les lois s’appliquant à tous peuvent le protéger.
Cela n’implique pas qu’il accepte, par solidarité, de descendre au niveau des plus miséreux, cela implique simplement qu’il puisse proposer un modèle potentiellement applicable par tous. Cela suppose qu’il puisse reconquérir ses droits à l’accès au savoir et aux ressources naturelles par des méthodes adaptées à notre temps.

Les trois pouvoirs

Le linguiste Georges Dumézil a montré que de nombreux mythes indo-européens étaient sous-tendus par une division de la société en trois classes caractérisées par les figures du guerrier, du prêtre et du paysan. En France, avant la Révolution, ces trois classes correspondaient respectivement à la Noblesse, au Clergé et au Tiers-Etat. Aujourd’hui cette division en classes a disparu mais il reste utile de considérer que les trois figures du guerrier, du prêtre et du paysan, correspondent à trois pouvoirs, le pouvoir militaire, le pouvoir idéologique et le pouvoir économique.
Ces pouvoirs correspondent à trois fonctions qui doivent impérativement être assumées dans toute société, quelle que soit son organisation. Le pouvoir militaire assure la défense de la société par la force, le pouvoir économique prend en charge ses besoins primaires et son bien-être, le pouvoir idéologique est responsable de la cohésion de la société. Chaque pouvoir a ses propres règles, sa propre logique, si bien qu’une société ne peut fonctionner efficacement que si les trois pouvoirs ne sont pas liés par de strictes relations hiérarchiques mais conservent une certaine autonomie et travaillent en étroite collaboration.
Chaque pouvoir est indispensable au fonctionnement de la société, il suffit que l’un seul d’entre eux soit défaillant pour que la société se disloque et disparaisse. C’est là un point essentiel. Si le pouvoir militaire est défaillant, la société sera détruite par ses ennemis car ceux-ci ne manquent jamais, si le pouvoir économique faiblit, il ne sera plus en mesure de financer les deux autres et la société s’écroulera.
Le pouvoir idéologique est également essentiel, d’une part pour rappeler la nécessaire solidarité qui doit unir les trois pouvoirs, d’autre part pour assurer la cohésion entre dominants et dominés. Tout pouvoir présente nécessairement deux faces indissociables, l’oppression et l’utilité commune. Pour assurer la cohésion sociale, il est impératif que l’utilité commune puisse apparaître l’emporter sur l’oppression, si bien que le pouvoir idéologique doit mettre en avant cet aspect par son discours et rendre son discours crédible en édictant des règles qui limitent l’oppression et renforcent l’utilité commune. Si le pouvoir idéologique échoue dans l’une de ses deux missions, c’est la cohésion et donc l’existence même de la société qui seront, à terme, condamnées.
Aujourd’hui, les peuples des pays démocratiques ont très largement renoncé à contrôler le pouvoir économique mais ils ont gardé l’illusion de pouvoir conserver le contrôle des deux autres. Nous vivons la mort de cette illusion. La concurrence entre les Etats démocratiques les oblige à réduire leurs dépenses, notamment les dépenses d’éducation indispensables à la cohésion sociales et les dépenses militaires, ce qui pourrait apparaître comme un point positif si d’autres formes d’organisation et des Etats moins démocratiques ne développaient leur propre pouvoir de destruction.
Si cette tendance se poursuit la démocratie ne sera bientôt plus qu’une coquille vide et ne tardera pas à disparaître totalement. Pour l’éviter, il n’y a qu’une seule solution, les peuples doivent impérativement reconquérir les trois pouvoirs, notamment le pouvoir économique qu’ils avaient pensé pouvoir abandonner. Cela suppose de nationaliser une part significative de l’économie car la nation est le fondement de la démocratie, mais nationaliser ne signifie pas nécessairement étatiser.

Reprendre le contrôle de la finance

La financiarisation de l'économie se traduit par une concentration croissante de la richesse
La financiarisation de l'économie se traduit par une concentration croissante de la richesse. Celle-ci modifie sensiblement le fonctionnement de l'économie. En effet, la consommation des plus riches est relativement indépendante de leur revenu, si bien qu'elle constitue une demande primaire qui va stimuler la production et donc l'activité dans l'ensemble de l'économie. En retour, les ménages les plus riches reçoivent des revenus de la propriété et des profits tirés de la spéculation. Cette demande primaire des plus riches peut se substituer à l'investissement net, c'est-à-dire que si elle continuait à se développer, elle pourrait, à terme, maintenir l'activité en l'absence de croissance et poursuivre durablement le creusement des inégalités sociales.
Cette concentration continue de la richesse est incompatible avec la démocratie car elle conduit inéluctablement à la formation d'une caste internationale disposant de toutes les richesses et de tous les pouvoirs.
Seule une action politique forte peut alors s'opposer à cette évolution. Elle doit nécessairement s'appuyer sur une reprise en main de la finance passant par la lutte contre la spéculation et le contrôle de la création monétaire.
Les moyens de lutte contre la spéculation sont bien connus, ils consistent principalement en la taxation des transactions financières. Cependant, il est difficile d'envisager une taxation imposée à l'ensemble des pays, aussi une action complémentaire est indispensable.
La spéculation financière a pour principal effet négatif de maintenir le coût du capital à des niveaux élevés
Outre son rôle dans la concentration des richesses, la spéculation financière a pour principal effet négatif de maintenir les taux de profit et donc le coût du capital, à des niveaux élevés, ce qui étouffe l'investissement productif, un pays démocratique doit donc les faire baisser en-dessous des niveaux mondiaux. Dans une économie libérale où les capitaux circulent librement, ce n'est pas possible car les capitaux vont naturellement là où ils sont le mieux rémunérés.
Une première solution consiste en l'instauration d'un contrôle des mouvements de capitaux. Cette politique qui a longtemps été pratiquée par de nombreux pays est aujourd'hui condamnée par des traités internationaux qu'il serait très difficile ou très long d'abroger, si bien que des politiques alternatives doivent être mises en place.
Ces politiques alternatives peuvent s'appuyer sur une faiblesse du système monétaire international actuel. En effet, les politiques libérales ont conduit à réduire le rôle de l'État dans le contrôle des banques, ce qui s'est traduit par une grande opacité et une perte de confiance des épargnants envers les banques. Cette perte de confiance a un coût, une prime de risque exigée par les épargnants, qui se concrétise par des taux d'intérêt plus élevés.
Or, une banque est d'autant plus sûre que ses actifs sont importants et diversifiés et que leur qualité peut être contrôlée. Idéalement, le système bancaire le plus sûr serait donc composé d'une seule banque jouant à la fois le rôle de banque centrale et de banques de dépôts.
Un pays doté d'un système bancaire unifié disposerait d'un avantage certain sur les autres pays car il pourrait faire baisser son coût du capital en-dessous du niveau mondial. Toutefois, pour que cela soit possible, une condition supplémentaire s'impose, le système bancaire doit être public car une banque privée placerait ses fonds là où ils sont les plus rémunérateurs, c'est-à-dire à l'étranger. L'avantage de la banque en termes de sécurité ne se traduirait alors pas par une baisse du coût du capital mais par une hausse des profits de la banque.
Un système bancaire composé d'une banque unique soulèverait inévitablement la question de son caractère monopolistique et donc de son efficacité économique. Cependant, un système monétaire public n'implique pas la disparition des banques de dépôts privées, il suffirait de leur ôter leur pouvoir de création monétaire en leur imposant des taux de réserve obligatoires proches de 100%. Dans ce système préconisé dès 1935 par l'économiste américain Irving Fisher, les banques de dépôts privées seraient alors rémunérées, non plus par les crédits qu'elles accordent, mais par des commissions versées par la banque centrale.
L'introduction dans le système de plusieurs fonds d'investissement servant d'intermédiaires entre la banque centrale et les entreprises serait un moyen de maintenir la concurrence nécessaire à l'efficacité de l'économie. Il suffirait pour cela que les fonds d'investissement, bien que financés par la banque centrale, puissent prendre leurs décisions en toute indépendance en se basant exclusivement sur des considérations d'ordre économique.
Une indépendance réelle supposerait toutefois que la banque centrale ne puisse pas décider de la répartition de ses ressources entre les différents fonds. Celle-ci pourrait être faite sur une base égalitaire, mais, puisqu'il serait préférable d'attribuer davantage de ressources aux fonds les plus performants, la répartition pourrait se faire sur la base de critères de performance définis à l'avance ou bien être décidée par d'autres agents que la banque centrale. Avec les technologies modernes de l'information, il n'y a plus guère de limite au nombre d'agents, si bien qu'il serait possible d'accorder aux citoyens le pouvoir de décider la répartition des ressources de la banque centrale. Puisque l'efficacité économique impose que celui qui prend une décision en subisse les conséquences, positives ou négatives, il serait alors impératif que les agents décidant l'affectation des fonds en reçoivent également le produit.

Une économie compétitive

La mondialisation doit principalement son succès à la spécialisation qu’elle rend possible. Cette spécialisation est incontestablement une source d’efficacité mais elle présente une face négative, la dépendance qu’elle génère. Cette dépendance peut s’avérer désastreuse lorsque, pour une raison quelconque, un produit d’importance stratégique vient à manquer. Ainsi, des taxes sur les importations permettant de réduire les échanges, et donc la dépendance, ne sont pas absurdes, elles ont toutefois un coût en termes d’efficacité qui doit être pesé au regard de la réduction de dépendance qu’elles permettent.
Pour un pays de taille moyenne, il semble cependant illusoire d’espérer se passer des importations, si bien qu’il est nécessaire de les financer par des exportations. De leur niveau dépendra très largement le revenu national, de telle sorte que le maintien de la compétitivité du pays face à ses concurrents sur les marchés mondiaux reste une question clé.

Le partage de la valeur ajoutée

De tout temps, les hommes ont été contraints de s’unir pour produire mais ils sont toujours restés concurrents pour se partager les fruits de leur production. Chaque homme dispose donc de deux moyens pour accroître son revenu, soit contribuer à accroître la production, soit en obtenir une plus grande part.
Lorsque la croissance est faible, il peut paraître rationnel de chercher à accroître sa part de la valeur ajoutée, soit par une stratégie individuelle, soit par une action collective. À long terme, cependant, cette lutte pour le partage de la valeur ajoutée apparaît stérile, voire contreproductive, générant une perte de compétitivité face à ceux qui savent partager la valeur ajoutée de manière moins conflictuelle. En effet, lorsque chacun ne peut espérer accroître son revenu qu’en développant la valeur ajoutée, tous participeront à l’effort collectif.
Concrètement, les entreprises dont les rémunérations du travail et du capital sont contractuellement déterminées par une part de la valeur ajoutée ont le plus de chances d’être, à terme, compétitives face à celles dont les salaires sont déterminés par le marché de l’emploi. De plus, elles sont incitées à faire porter leurs efforts en vue d’améliorer leur compétitivité davantage sur le plan de la qualité que sur celui des prix car c’est ainsi qu’elles ont le plus de chances d’accroître leur valeur ajoutée par tête.
Mais, pour que de telles entreprises se développent, il est indispensable que les salariés puissent entretenir une relation de long terme avec leur entreprise. En effet, dans le cas contraire, les salariés seraient amenés à quitter leur entreprise lorsque la part de la valeur ajoutée revenant aux salariés s’éloignerait significativement du salaire déterminé par la marché de l’emploi, leur départ serait volontaire si leur part de valeur ajoutée était trop faible, il serait provoqué par des licenciements dans le cas contraire.
L’État joue un rôle déterminant pour rendre possible de telles entreprises. Il doit, en effet, adapter le droit du travail et les règles d’indemnisation du chômage. En particulier, il doit privilégier l’indemnisation du chômage partiel pour soutenir les entreprises en difficulté car les licenciements pour cause économique cassent les relations de confiance entre les salariés et leur entreprise.
Si l’on compare deux pays, l’un où les salaires sont déterminés globalement par le marché de l’emploi et l’autre où les salaires sont davantage déterminés par les résultats des entreprises, on observera, sur le long terme, que le premier pays est moins compétitif et qu’il est amené à compenser régulièrement son manque de compétitivité par des dévaluations.
Si les deux pays décident de partager la même monnaie, l’ajustement par les dévaluations n’est plus possible, si bien que le premier pays verra son économie se dégrader progressivement, la seule solution pour lui sera alors de développer, à son tour, des entreprises où les revenus des salariés ne sont pas déterminés par le marché de l’emploi mais sont liés à la valeur ajoutée de leur entreprise.

Une économie sans croissance

Une reprise en main du système financier permettrait de mettre fin à la concentration des richesses, elle ne règlerait pas le problème des crises provoquées par le blocage de la croissance.
En effet, une économie en stagnation implique la stabilisation du niveau du capital physique des entreprises, c'est-à-dire un investissement net nul. À cet investissement net nul correspond nécessairement une épargne des ménages nulle, c'est-à-dire aucune possibilité d'enrichissement global, l'enrichissement des uns ne pouvant se faire qu'au détriment des autres. Or, pour continuer à s'enrichir, les ménages vont réduire leur consommation. En procédant ainsi, ils n'augmentent pas leur épargne mais ne font que réduire d'un même montant la production et les revenus. L'économie ne peut alors se stabiliser que lorsque les ménages seront suffisamment pauvres pour être contraints de consommer tout leur revenu.
En période de stagnation, les volontés d'enrichissement sont impossibles à satisfaire pour tous
Au cours des siècles précédents, en période de stagnation ou de récession prolongées, les volontés d'enrichissement impossibles à satisfaire pour tous ne pouvaient donner lieu qu'à des conflits qui prenaient la forme de guerres ou de pillages. Les patrimoines confisqués aux vaincus étaient alors dépensés par les vainqueurs sous forme de revenus distribués à leur troupes, ce qui contribuait à stimuler l'activité économique.
Les mêmes causes peuvent aujourd'hui produire les mêmes effets mais il existe des solutions plus pacifiques. Elles reposent sur l'acceptation de l'impossibilité de l'enrichissement global lors des périodes de stagnation et sur la nécessité pour la société de s'organiser en conséquence.
Si la possibilité d'enrichissement au cours d'une vie peut apparaître comme un stimulant utile à la société, on ne peut oublier que toute vie a une fin. À ce moment précis, le patrimoine du défunt doit nécessairement être redistribué. Deux solutions sont alors possibles, soit le patrimoine est préservé et est simplement transmis à un autre, soit il est redistribué sous forme de revenus. Seule la deuxième solution a un impact positif sur l'activité économique grâce aux revenus qu'elle génère, les vivants peuvent alors continuer à s'enrichir grâce à l'appauvrissement des morts.
Concrètement, seul l'État est capable d'organiser cette redistribution de manière pacifique. Le prélèvement sur le patrimoine prend alors la forme de droits de succession, sa redistribution celle de dépenses publiques. Le taux des droits de succession devrait être calculé de manière à avoir un impact suffisamment positif sur l'activité économique. L'instauration d'une taxe progressive sur les patrimoines peut également avoir un effet positif en limitant l'enrichissement des ménages.

Le rôle de la banque centrale

Si, pour des raisons politiques, un pays ne parvient pas à imposer des droits de succession suffisants, il lui est possible d'adopter, en complément, une politique de déficit public contrôlé. Pour être durable, le déficit doit alors être financé, non par emprunt sur le marché, mais par création monétaire ; pour ne pas être trop inflationniste, il doit rester modéré. En pratique, cela suppose l'indépendance de la banque centrale car l'expérience a montré que de nombreux États ont eu, dans le passé, tendance à abuser du financement monétaire car il constitue un moyen détourné et relativement indolore de financer leurs dépenses.
L'indépendance de la banque centrale a pour corollaire la possibilité de faillite de l'État. Aussi, pour éviter un surendettement potentiellement explosif qui pourrait amener le pays à la banqueroute, il est également impératif que l'État s'interdise toute autre source d'emprunt, c'est-à-dire que seule la banque centrale doive avoir le droit d'accorder des crédits à l'État.
Si la banque centrale est commune à plusieurs pays, comme c'est le cas dans la zone euro, les règles doivent être suffisamment strictes pour éviter des dérapages mais elles devraient fixer non seulement un plafond au déficit autorisé, mais aussi un plancher. En effet, un pays à fort excédent budgétaire pèse sur la croissance de l'ensemble et pénalise les autres. Par exemple, il serait raisonnable de fixer pour le déficit public un plafond à 3% du PIB, un plancher à 1% du PIB et une moyenne sur cinq ans à 2% du PIB.
Ces déficits permettraient de soutenir la croissance tout en contenant l'inflation à un niveau acceptable.
Puisque les pays sont déjà endettés, la banque centrale devrait, pour maintenir son monopole de prêt à l'État, financer non seulement le déficit public, mais également accorder des crédits en remplacement des crédits venant à échéance. En contrepartie, la banque centrale pourrait émettre des emprunts sur le marché afin d'éviter de faire croître la masse monétaire.
Lorsque les États sont très endettés envers le secteur privé comme c'est le cas dans la zone euro, la banque centrale peut également contribuer au remboursement de leur dette en rachetant, par création monétaire, des titres de dette publique. Cette politique a, comme tout achat de titres par le système bancaire, pour principal effet de faire monter le cours des actifs financiers et a peu d'impact sur l'inflation. Dans la zone euro, puisque la valeur des actifs financiers représente environ 10 fois le PIB, une politique de rachat de dette publique de l'ordre de 5% du PIB, comme l'a fait la Banque centrale européenne en 2015 et 2016, apparaît raisonnable et devrait être systématisée à l'avenir.

Réduire la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures

L'autre défi à relever pour les démocraties est celui de leur indépendance énergétique ou, plus précisément, de leur indépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Actuellement, de nombreux pays sont contraints d'acheter leur pétrole en cédant des actifs, c'est-à-dire en vendant leur patrimoine, car les principaux pays pétroliers, très riches, ne souhaitent pas consommer tout leur revenu. En conséquence, ils veulent échanger une partie de leur pétrole, non contre des biens et services, mais contre des actifs financiers. Cela a pour conséquence un impact durablement négatif sur l'activité économique.
Sortir de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures n'est pas simple et suppose un effort considérable en recherche et en investissements, mais c'est une condition nécessaire pour sortir durablement de la crise.


Démocratie économique

Démocratie économique:


S'il est un mot qui fait l'unanimité dans les discours politiques, c'est bien celui de démocratie. Qui ne se revendique pas de la démocratie ? Certainement pas le libéral qui, en son nom, défend la liberté totale du commerce, de l'entreprise, et du profit ; ni même l'étatiste qui propose de le contrôler, voire de l'interdire, toujours au nom de cette même démocratie. On peut constater que ce mot est employé à beaucoup de sauces et, qu'en son nom, on défend parfois beaucoup de choses et leurs contraires. 

Qu'appelle-t-on démocratie ?

La démocratie n'est pas une découverte récente puisqu'elle remonte à la Grèce Antique ; le système socio-économique capitaliste moderne est fondé sur des bases différentes de celles de l'antique système esclavagiste grec et la démocratie n'est donc pas un système socio-économique. Elle n'est pas non plus pour une raison similaire un système politique. Même si elle est souvent associée à la république elle ne s'y substitue pas, car si elle en est un complément fréquent il a déjà existé des républiques qui n'avaient rien de démocratiques. Si la démocratie n'est pas un système politique ni un système socio-économique, elle ne se réduit pas non plus à une simple idée ni à une valeur morale. En fait, si on observe l'histoire des sociétés, il apparaît que la démocratie est un ensemble de "pratiques sociales", basé sur des valeurs d'égalité, de liberté, et de justice, qui s'enrichit avec le temps et le développement de certaines sociétés humaines. Les pratiques démocratiques actuelles sont principalement le résultat d'un processus qui a démarré au dix huitième siècle, en Europe avec le remplacement de la Monarchie par la République française, et en Amérique du Nord par l'instauration de la République des États-Unis. Ce retour à la république, principe de gouvernement connu depuis l'Antiquité, est fondé sur les mêmes valeurs que la démocratie. Les pratiques démocratiques les plus connues que la république a apportées dans le domaine politique sont : le suffrage universel, la liberté d'opinion et de réunion, l'indépendance de la presse, l'indépendance de la justice.
L'histoire montre aussi que toutes ces pratiques, tous ces droits qui peuvent aujourd'hui apparaître élémentaires pour certains, ne se sont pas le plus souvent acquis par la simple bonne volonté des législateurs. Ils sont le fruit de luttes politiques ou sociales qui ont marqué l'histoire des nations modernes. Il en est par exemple ainsi en France du droit de vote qui fut d'abord censitaire, il ne devint suffrage universel que suite à la révolution de février 1848 mais ne fut accordé aux femmes qu'en 1944. On constate aussi que l'acquisition de pratiques démocratiques n'est jamais définitivement établie, la liberté d'opinion ou de la presse fut maintes fois  remise en question durant les deux derniers siècles. La liberté d'émettre (radios libres) ne date en France que de 1981, et nécessite toujours une autorisation préalable ; on a vu très récemment le gouvernement des États-Unis demander aux journalistes de s'autocensurer en ne passant pas les cassettes de leur ennemi du moment. La démocratie est donc un phénomène perfectible mais pouvant parfaitement régresser, même si on constate depuis deux siècles une lente évolution en dent de scie vers toujours plus de démocratie politique.
Aujourd'hui beaucoup pensent que les pratiques actuelles de la démocratie politique ne sont pas parfaites, ce qui est normal puisque c'est un ensemble de pratiques qui ne peuvent qu'évoluer de concert avec l'évolution de la société. Certains réclament plus de démocratie par exemple grâce à une modification du scrutin, ou grâce à un aménagement de la gestion locale assurant une plus grande participation de chaque citoyen, ou grâce à une utilisation plus fréquente du référendum. Bien sûr on peut améliorer beaucoup de détails et ces aménagements mériteraient certainement d'être mieux étudiés, quoi qu'il en soit rares sont aujourd'hui ceux qui estiment qu'il faut radicalement changer notre système politique, il est certes perfectible mais ses grands principes paraissent acquis. Pourtant si chacun a les mêmes droits politiques, les inégalités sociales sont bien présentes et toujours croissantes. Il n'y a rien d'étonnant à cela puisqu'elles ne relèvent pas du domaine de l'égalité politique, mais du domaine de l'égalité économique.

La démocratie économique

Les pratiques démocratiques ne se limitent pas au seul domaine de la politique, l'humain est un animal social qui s'associe naturellement avec ses congénères pour pratiquer de nombreuses activités, on trouve ainsi des pratiques démocratiques très développées dans le domaine associatif. Les responsables de nombreuses associations à buts très divers sont en effet élus de manière tout à fait démocratique et ces associations fonctionnent selon des règles généralement conformes aux valeurs de la démocratie. Si les pratiques démocratiques se sont ainsi imposées à l'humain dans la plupart de ses champs d'activités sociales, qu'en est-il dans le domaine qui concerne la production de biens et de services, leur distribution et leur consommation, c'est à dire l'économie ?
Dans nos sociétés modernes l'autarcie n'existe plus, et la division du travail a entraîné une socialisation totale des pratiques économiques. La production d'un bien ou d'un service met en jeu tout un ensemble d'acteurs qui oeuvrent de concert pour que le système fonctionne. Pour pouvoir produire et distribuer sa production, toute entreprise utilise les services d'autres entreprises et, la plupart du temps, le moindre bien consommé a nécessité directement et indirectement l'intervention de dizaines voire de centaines de personnes dans sa production. Dans ce sens, les pratiques économiques sont les pratiques humaines les plus socialisées qui soient et chacun d'entre nous est un acteur économique. Vu l'évolution vers toujours plus de démocratie que nous avons pu observer dans le domaine politique et associatif, nous pourrions nous attendre à ce que cette même démocratie soit aussi d'usage courant dans le domaine économique et que les valeurs d'égalité, de liberté et de justice, soient à la base des pratiques économiques modernes.

L'antagonisme entre le droit de propriété de l'entreprise et la démocratie

Bien sûr, nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle et, dans nos démocraties modernes, la liberté d'expression dans l'entreprise, ainsi que les droits d'association et de grève, sont en théorie acquis. Les comités d'entreprise ont été institués en France en 1945, ils interviennent dans le domaine de l'organisation du travail, de l'hygiène, de la cantine, des colonies de vacances. On observera que si on leur accorde un certain pouvoir, celui-ci est très mineur et, en dehors de quelques domaines ne concernant pas directement le fonctionnement essentiel de l'entreprise, il se réduit généralement à un rôle simplement consultatif. Le pouvoir de décision appartient de fait au seul conseil d'administration de l'entreprise et à ses représentants. Le chef d'entreprise, qui malgré un intéressement habituel aux bénéfices n'est le plus souvent lui même qu'un employé au service des actionnaires, décide de tout ce qui  se rapporte à la production et aux conditions dans lesquelles elle s'effectue. Le travailleur n'a donc aucun pouvoir réel en ce domaine. Le chef d'entreprise a le pouvoir d'imposer au salarié la conduite la plus apte à servir les intérêts de l'entreprise. Le contrat de travail n'est pas un contrat égalitaire, même si "librement" signé. C'est un contrat de subordination de l'employé vis à vis de l'entreprise. S'il existe un semblant de démocratie dans l'entreprise comme vu au début de ce paragraphe, ce n'est donc qu'une caricature de démocratie, un balbutiement. Ce sont les actionnaires/propriétaires qui ont le seuI pouvoir et ils ont choisi le chef d'entreprise pour qu'il agisse dans le sens de leurs intérêts particuliers. C'est donc dans le sens de leur seul profit que le chef d'entreprise décide des méthodes de productions,  qu'il fixe le niveau de productivité du salarié, qu'il décide des horaires et des postes de travail, bref qu'il organise toute l'activité de l'entreprise et de ses salariés. La gestion de l'entreprise capitaliste n'a donc absolument rien à voir avec une gestion démocratique qui donnerait le pouvoir aux participants réels à l'entreprise, c'est à dire à ceux qui la font fonctionner par leur travail. Elle fonctionne selon d'archaïques principes hiérarchiques fondés sur des rapports de soumission et de domination. Quand l'entreprise va mal, ou simplement quand les actionnaires veulent  dégager plus de profit, ce sont les salariés de l'entreprise qu'on licencie, jamais les actionnaires. L'entreprise est gérée dans le seul intérêt des propriétaires et il n'est nullement tenu compte de l'intérêt du salarié dans cette gestion. Le rôle premier de l'entreprise capitaliste n'est pas de produire des richesses pour améliorer le bien être de tous, mais de produire avant tout du profit pour ses propriétaires. Si l'entreprise est au service de l'homme, la notion d'homme se réduit ici essentiellement à la notion de propriétaire.
Cette approche, en terme de démocratie dans l'entreprise capitaliste, montre qu'en fait il existe une contradiction d'intérêt entre les actionnaires et les salariés. La gestion de l'entreprise par ses propriétaires se fait dans le sens de l'intérêt de ceux-ci et bloque toute évolution vers une extension des pratiques démocratiques dans l'entreprise. Ce constat est le révélateur de l'existence d'un antagonisme entre la démocratie économique et le droit de propriété de l'entreprise. Si lors des grandes révolutions françaises et américaines le droit de propriété de l'entreprise apparaissait comme un garant de la liberté et de la démocratie, la réalité d'aujourd'hui, telle qu'on l'observe dans le cadre de l'entreprise moderne, nous montre que ce droit de propriété est justement l'élément premier qui empêche l'instauration de pratiques démocratiques dans le cadre de l'entreprise.

L'antagonisme entre le privilège des revenus de l'argent et la démocratie

Non seulement ce droit de propriété de l'entreprise est cause de l'absence de démocratie dans l'entreprise, mais il est en lui même une autre source d'inégalités économiques au niveau des revenus. Du point de vue du revenu, l'égalité économique n'implique pas nécessairement l'attribution d'un revenu égal pour tous, par contre elle doit au moins assurer l'égalité des chances et un minimum acceptable pour les plus défavorisés. Mais peut-il y avoir égalité entre le citoyen qui perçoit ses revenus par son seul salaire, ce qui est le cas de l'immense majorité, et le citoyen qui perçoit ses revenus par le profit de son seul argent ? On ne peut pas s'enrichir de manière illimitée avec un simple salaire même très élevé, il faut pour cela bénéficier des revenus du capital. Si on naît riche dans une famille ayant déjà accumulé un gros patrimoine, le privilège du droit de propriété des entreprises et celui du prêt à intérêt font que l'on a toutes les chances de s'enrichir encore plus. Alors que celui qui naît dans une famille pauvre, ou même moyenne, a toutes les chances de finir salarié sans pouvoir jamais profiter des privilèges de la richesse. La dissociation entre les revenus de l'argent et les revenus du travail est donc la première source d'inégalités économiques, c'est grâce aux privilèges des revenus de l'argent que les 225 plus grosses fortunes du monde représentent l'équivalent du revenu annuel des 2,5 milliards de plus pauvres. Ces inégalités économiques croissantes révèlent donc un antagonisme entre le privilège des revenus de l'argent et la démocratie économique.

Conséquences de l'absence de démocratie économique sur la démocratie politique

Si la carence de démocratie économique se fait sentir au niveau des inégalités économiques, elle ne se limite pas à ce seul domaine, comment peut-il y avoir égalité politique sans égalité économique ? L'argent joue un rôle dans toute élection, une bonne campagne de publicité coûte cher et, si elle ne suffit pas pour garantir l'élection, elle y aide forcément. Les lobbies de l'argent sont évidemment très riches, et l'idéologie néo-libérale s'est imposée à coups de centaines de millions de dollars [1]. Le bon vieux proverbe qui dit que "le pouvoir c'est l'argent" n'est guère contesté par grand monde et, dans un système socio-économique fondé sur l'argent et son profit, la démocratie ne pèse pas lourd face au pouvoir qu'accorde l'argent aux lobbies financiers. Si les États pouvaient gêner le pouvoir de l'argent, ses lobbies se sont arrangés pour les contourner à l'aide d'organisations supranationales telles l'OMC, le FMI, la Banque Mondiale, et les différents gouvernements n'ont pu qu'accepter bon gré mal gré leurs règles. Les pays pauvres, autrefois souvent anciennes colonies exploitées par la force, sont aujourd'hui asservis de manière beaucoup plus subtiles : le prêt d'argent et la corruption sont beaucoup plus efficace que l'usage de la force. Le remboursement du capital et des intérêts impose à ces pays de se procurer des devises, d'où une nécessaire politique d'exportation et d'ouverture aux investisseurs étrangers. Quand le défaut de paiement menace, le FMI est toujours là pour prêter encore plus, à des taux toujours plus élevés au fur et à mesure que la prime de risque augmente, à condition que ces pays adoptent des "plans d'ajustement structurel" imposant aux gouvernements des mesures favorables au "pouvoir de l'argent" et accentuant d'autant plus les inégalités économiques. Il apparaît alors que non seulement le pouvoir économique est supérieur au pouvoir politique, mais qu'en plus il l'utilise pour se renforcer. Non seulement le pouvoir politique ne peut pas agir dans le sens de plus d'égalité économique, mais se trouve forcé par les institutions financières internationales à prendre des mesures aggravant ces inégalités, ce qui montre qu'il ne peut y avoir de réelle démocratie politique sans réelle démocratie économique.

Comment accéder à la démocratie économique pour aller vers la démocratie globale

On vient de voir que l'élément qui empêchait l'instauration de la démocratie économique était le revenu de l'argent. Même si ce revenu a certainement joué un rôle de facteur de développement très positif antérieurement, aussi bien dans le domaine économique que dans celui des institutions, l'évolution générale fait que de nos jours il est devenu le principal obstacle vers plus de démocratie. Aujourd'hui, pour pouvoir avancer vers une démocratie de plus en plus globale, le problème majeur de notre société moderne n'est plus celui de la démocratie politique mais celui de la démocratie économique et le privilège du revenu de l'argent en est le point de blocage.
Le revenu de l'argent se concrétise essentiellement dans deux catégories : dans le droit au prêt à intérêt privé, et dans l'actionnariat c'est à dire dans le droit de propriété privé des entreprises. Évidemment, on comprend bien que l'idée de toucher à ces deux droits puisse déranger les privilégiés qui en bénéficient, pourtant, de nos jours, l'avancée de la démocratie passe par l'abolition de ces deux privilèges.
L'entreprise moderne a-t-elle vraiment besoin de propriétaires ? Que lui apportent ses actionnaires, sinon parfois de l'argent ? En dehors de cet argent, en quoi lui sont-ils utiles ? Que l'entreprise soit soumise à quelques règles d'intérêt général démocratiquement déterminées est certes une contrainte, mais la principale contrainte de l'entreprise n'est-elle pas aujourd'hui celle de la volonté de profit de ses actionnaires ? Ils apportent certes de l'argent à l'entreprise mais lui en coûtent bien plus qu'ils ne lui en apportent, elle fonctionne le plus souvent sans eux et s'en débarrasser ne présenterait que des avantages pour l'entreprise et ses salariés. Le chef d'entreprise serait alors au seul service de celle-ci et non plus à celui des actionnaires. Le conseil d'administration, pouvant enfin être démocratiquement nommé, ne dirigerait plus l'entreprise dans le sens du profit maximum mais dans celui des intérêts de celle-ci et de ses travailleurs. Le financement de l'entreprise pourrait bien sûr être assuré par du crédit public ce qui règlerait aussi le problème du privilège du prêt à intérêt privé, tout en facilitant l'accès au crédit pour les petites entreprises. Ce fonctionnement de l'entreprise ne pourrait présenter que des avantages à beaucoup de points de vue, le problème n'est pas d'ordre pratique mais d'ordre juridique.; mais on aborde ici un autre sujet : celui de l'autogestion, qui même si elle peut être l'expression la plus complète de la démocratie n'est pas ici l'objet de cette réflexion.


microéconomie et macroéconomie

microéconomie et macroéconomie:


La détermination du profit

Le profit joue un rôle fondamental dans la théorie keynésienne. En effet, la prévision du taux de profit par les entrepreneurs apparaît comme l'un des facteurs clés de la détermination de l'investissement et donc du niveau de l'activité économique.

Définition

Le profit peut être défini comme la rémunération du capital. Cette définition très générale est trop imprécise pour être utilisée par les comptables qui préfèrent utiliser d'autres termes. En comptabilité privée, la notion de profit se rapproche de celle de bénéfice mais elle en diffère par certaines règles de valorisation. En macroéconomie, le profit des entreprises est souvent assimilé à l'excédent net d'exploitation de la comptabilité nationale, pourtant il en diffère sur un certain nombre de points. Tout d'abord, l'excédent net d'exploitation n'exclut pas l'impôt sur les bénéfices des entreprises, à l'inverse il n'inclut pas les revenus financiers et les plus-values.
En fait, l'excédent net d'exploitation ne mesure pas le profit car il ne représente que la part de la valeur ajoutée rémunérant le capital, or le profit ne provient pas nécessairement de la valeur ajoutée, c'est-à-dire de la création de richesse, il peut également provenir de la richesse déjà existante, soit par des transferts, notamment les revenus de la propriété, soit par des plus-values, notamment lors des activités spéculatives.
L'imprécision de la définition du profit présente cependant l'avantage de permettre une appréhension globale des grands phénomènes économiques qui limite le risque de se perdre dans la précision des détails. Dans toute la suite de l'exposé nous ne chercherons donc pas à préciser davantage la notion de profit.

Le taux de profit

Le taux de profit se calcule en comparant la valeur d'un actif à la série de revenus qu'il génère dans le futur pour son propriétaire. Pour simplifier l'exposé nous éliminerons les questions liées au risque et à l'échelonnement dans le temps des revenus. Cette première simplification ne peut cependant nous permettre d'éviter une question essentielle : si le taux de profit est obtenu en comparant la valeur d'un actif aux revenus qu'il doit générer dans le futur, comment le déterminer puisque la théorie économique nous enseigne que la valeur d'un actif est déterminée en actualisant les revenus futurs par le taux de profit ? En d'autres termes, pour une série de revenus futurs donnée est-ce la valeur de l'actif qui détermine le taux de profit ou le taux de profit qui détermine la valeur de l'actif ?
Pour répondre à cette question il faut distinguer clairement entre une approche comptable et une approche économique. L'approche comptable permet de déterminer un taux de profit en comparant la valeur d'un actif au moment de son acquisition et les revenus qu'il a effectivement générés au cours de sa vie. En toute rigueur, le taux de profit ne peut être connu qu'après la période d'utilisation de l'actif. L'approche économique vise à expliquer le comportement des agents économiques, c'est-à-dire dans le domaine qui nous intéresse, leurs décisions d'acquérir ou de vendre des actifs. Celles-ci ne peuvent être prises qu'en comparant la valeur de l'actif sur le marché à leurs prévisions de revenus futurs.
Le premier point important est celui-ci : lorsqu'il s'agit d'étudier le comportement des agents, le taux de profit pertinent est un taux prévisionnel.
Le taux de profit effectif n'est connu que bien après la décision et ne peut donc l'influencer. Puisque chaque agent est libre de réaliser ses propres prévisions il peut y avoir autant de taux de profit prévisionnels que d'agents. Au niveau macroéconomique, il est donc impossible de parler d'un taux de profit prévisionnel unique.

L'approche microéconomique

L'étude de la détermination du profit nécessite de faire appel à des considérations qui relèvent aussi bien de la microéconomie que de la macroéconomie. Traditionnellement, deux approches coexistent en microéconomie. La première se situe dans le cadre de rendements décroissants, c'est-à-dire de coûts unitaires de production croissant avec les quantités produites. Dans ce modèle, l'entreprise va commencer à produire si le prix du marché est supérieur au coût de production unitaire, puis elle va développer sa production jusqu'à ce que le niveau des coûts atteigne le prix du marché. Dans ces conditions, le profit réalisé est positif pour toutes les unités produites à l'exception de la dernière pour laquelle le profit est nul. Le profit global de l'entreprise est alors positif.
La deuxième approche se situe dans le cadre de rendements constants, c'est-à-dire dans le cas où toutes les unités produites ont le même coût. La théorie microéconomique démontre que le profit est alors nul. En effet, sous l'hypothèse que l'entreprise cherche à maximiser son profit, un profit positif aurait pour conséquence d'inciter l'entreprise à augmenter sans cesse sa production jusqu'à la rendre infinie.
Ces deux approches peuvent paraître incompatibles, pourtant elles ne le sont pas réellement. Les rendements décroissants ne peuvent apparaître que lorsque l'un des facteurs de production, par exemple les bâtiments, ne croît pas aussi vite que la production, ce qui rend cette dernière de moins en moins efficace. Ce modèle est typiquement un modèle de court terme où le capital de l'entreprise est fixe. En effet, à moyen terme, on voit mal pourquoi une entreprise qui doublerait tous ses moyens de production ne verrait pas sa production et ses coûts doubler également. Rappelons, en effet, que l'hypothèse de base de la microéconomie est qu'une entreprise particulière n'a pas d'impact sensible sur le marché et qu'elle peut donc acheter et vendre autant qu'elle le souhaite sans influer sur les prix. Un modèle de moyen terme sera naturellement un modèle à rendements constants puisque l'entreprise peut investir pour augmenter ses capacités de production.
Les profits seraient-ils donc positifs à court terme et nuls à moyen terme ? En fait non, car les deux approches ne font pas référence à la même définition du profit.
Dans les deux cas, le raisonnement doit être tenu en termes de coût marginal, c'est-à-dire du coût de production d'une unité supplémentaire. Dans une approche de court terme, le coût marginal ne comprend pas les frais financiers, du moins si nous négligeons les frais liés au financement du fonds de roulement. En effet, si l'on suppose que le capital reste inchangé, les intérêts payés par l'entreprise sur les emprunts qui ont financé les investissements sont des coûts fixes et non des coûts marginaux puisqu'ils doivent de toute manière être payés indépendamment du niveau de la production. Les dividendes, quant à eux, ne correspondent pas à des éléments de coût mais à une distribution des profits.
Dans une approche de moyen terme, les choses sont différentes. En effet, pour augmenter sa production l'entreprise doit non seulement accroître ses consommations intermédiaires et ses salaires, mais aussi investir pour accroître sa capacité de production. L'entreprise prendra la décision d'investir ou non en comparant deux taux : le taux de profit qu'elle pense tirer de son investissement et le taux de rendement des actifs financiers disponibles sur le marché. Le profit correspond ici au revenu que l'entreprise tire de son investissement avant paiement des frais financiers générés par son investissement. Pour simplifier, nous supposerons que le taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché est unique.
Pour financer ses investissements l'entreprise peut choisir entre un appel à l'emprunt, une augmentation de capital par émission d'actions ou le recours à l'autofinancement. Si l'entreprise fait appel à l'emprunt elle devra payer des intérêts, si elle émet des actions elle devra payer des dividendes à ses nouveaux actionnaires, si elle fait appel à l'autofinancement elle renonce aux revenus qu'elle aurait pu obtenir en acquérant des actifs financiers plutôt qu'en investissant. Dans tous les cas, du point de vue des actionnaires de l'entreprise, c'est-à-dire du point de vue de ceux qui, au moins en théorie, décident de l'investissement, ces éléments apparaissent comme des coûts. En effet, les intérêts payés viennent en déduction du bénéfice et donc du revenu des actionnaires, l'émission d'actions correspond à un partage du bénéfice avec de nouveaux actionnaires et l'autofinancement correspond à un manque à gagner.
À moyen terme et sous les hypothèses retenues par la microéconomie, la libre concurrence sur le marché impose que le taux de profit prévisionnel que l'entreprise espère tirer d'un nouvel investissement soit au moins égal au taux de rendement des actifs financiers tel qu'il est effectivement déterminé par le marché. En effet, l'entreprise ne peut pas entreprendre un investissement générant un taux de profit inférieur au taux de rendement financier car elle aurait alors intérêt à acheter des actifs financiers plutôt que de réaliser cet investissement.
Que se passe-t-il si le taux de profit de l'investissement est supérieur au taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché ? Si l'investissement est financé par émission d'actions, chaque nouvelle action donne droit à une part du bénéfice de l'entreprise, son prix au moment de l'émission étant déterminé par le marché de telle manière que le rapport entre la part du bénéfice auquel elle donne droit et son prix soit égal au taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché. Si le taux de rendement des actifs financiers est faible, les nouveaux actionnaires se contenteront d'une part des bénéfices relativement faible, ce qui profitera aux anciens actionnaires.
Par exemple, si le taux de rendement financier sur le marché est de 8% et que le taux de profit d'un nouvel investissement est de 10%, un investissement de 100 rapportera un bénéfice supplémentaire de 10 mais les nouveaux actionnaires se contenteront d'une rémunération au taux du marché, c'est-à-dire de 8, la différence de 2 viendra augmenter la rémunération des anciens actionnaires. Si le nouvel investissement était de 1000 les anciens actionnaires augmenteraient leur rémunération de 20. Le phénomène est le même si l'investissement est financé par l'emprunt, il s'agit de l'effet de levier bien connu qui profite également aux actionnaires.
Ainsi, si le taux de profit généré par l'investissement de l'entreprise était supérieur au taux de rendement des actifs financiers, les actionnaires de l'entreprise auraient intérêt à faire croître le plus possible leur investissement, c'est-à-dire si l'on accepte le point de vue de la microéconomie selon lequel une entreprise particulière ne peut pas influencer le marché, jusqu'à l'infini, niveau où le point de vue de la microéconomie n'est plus acceptable.
Ce raisonnement par l'absurde montre que les hypothèses retenues par la microéconomie sont incompatibles avec l'existence d'un taux de profit des investissements supérieur au taux de rendement des actifs financiers. Comme nous avons vu que le taux de profit des investissements ne peut pas non plus être inférieur au taux de rendement des actifs financiers, nous pouvons en déduire que les hypothèses retenues par la microéconomie impliquent que le taux de profit des nouveaux investissements est nécessairement égal au taux de rendement des actifs financiers déterminé par le marché.
En fait, ce raisonnement montre que l'égalité entre le taux de profit généré par les actifs de l'entreprise et le taux de rendement des actifs financiers sur le marché est la seule possibilité pour que, à moyen terme, la production de l'entreprise soit différente de zéro ou de l'infini. Dans ce cas, le niveau de production de l'entreprise lui est indifférent, si bien que le niveau de production global ne peut être déterminé qu'au niveau macroéconomique.
Notons qu'il y a deux manières de concevoir ce résultat, la première est de considérer que le financement d'un nouvel investissement représente un coût pour les actionnaires qui le décident, ce qui conduit à un profit nul n'incitant pas l'entreprise à se développer, la seconde est de considérer que ce que cherche à maximiser une entreprise n'est pas son profit global mais son profit par action car, pour chaque actionnaire, c'est ce critère et non le profit global qui importe, si bien qu'à moyen terme la taille de l'entreprise, et donc son niveau de production, lui apparaissent sans importance. Dans la suite de l'exposé nous n'utiliserons la notion de profit que comme la rémunération du capital au sens large, c'est-à-dire sans déduction des revenus de la propriété.



Le niveau macroéconomique

Négligeons dans un premier temps les impôts et supposons que les seuls facteurs de production soient le capital fixe et le travail. Au niveau macroéconomique, le profit apparaît alors principalement comme le résultat du partage de la valeur ajoutée entre salariés et propriétaires du capital, si bien qu'il est difficile d'étudier le profit sans étudier dans le même temps la détermination des salaires.
Au niveau global, c'est la loi de l'offre et de la demande qui détermine les prix aussi bien sur le marché du travail que sur ceux des biens et des actifs financiers. Le travail est une source de revenu pour les salariés mais il réduit leur temps disponible pour les loisirs et est pénible. Une hausse du taux de salaire horaire génère pour les salariés un revenu supplémentaire qui va pouvoir compenser de nouveaux sacrifices en termes de loisirs et de pénibilité, elle amène donc généralement à une hausse de l'offre de travail.
Cependant, il est possible, au moins en théorie, qu'après une hausse du taux de salaire les salariés préfèrent travailler moins pour accroître leurs loisirs tout en maintenant leur niveau de vie. Inversement, une baisse du taux de salaire horaire peut conduire à une baisse de l'offre de travail mais elle peut également conduire à une hausse si les salariés sont si pauvres qu'ils doivent compenser la baisse du taux de salaire par plus travail afin de conserver un niveau de vie acceptable. Pour les entreprises, la hausse du taux de salaire a pour conséquence une réduction de leur demande de travail, sa baisse se traduit par une hausse de la demande.
En période de croissance, plus on se rapproche du plein emploi et plus les entreprises doivent augmenter le taux de salaire pour satisfaire leur demande de travail. Si les salariés ne répondent pas à la hausse du taux de salaire par un accroissement de leur offre de travail, la croissance se bloque. Si les salariés répondent à cette hausse du taux de salaire par une hausse de leur offre de travail, la croissance peut se poursuivre, mais avec des taux de profit diminués si l'on suppose les prix des produits et les techniques de production inchangés.
La hausse des salaires n'est cependant pas le seul élément susceptible de réduire le profit lorsque le niveau de production s'accroît. Les consommateurs peuvent, en effet, être réticents à accroître leur consommation s'ils estiment avoir atteint leur niveau de saturation. Dans ce cas, les entreprises peuvent être amenées à baisser leur prix pour poursuivre leur croissance. Là encore, ce sera au prix d'une baisse des taux de profit.
La rareté des ressources naturelles peut également être la cause de la baisse du taux de profit lorsque le niveau de la production s'élève. Les ressources naturelles, par exemple les terrains, constituent un élément du capital productif des entreprises mais elles diffèrent du capital fixe en ce qu'elles ne peuvent pas être produites. Lorsque les économistes classiques évoquaient la baisse des taux de rendement ils faisaient toujours référence à la rareté des terres cultivables et à la nécessité de mettre en exploitation des terres de moins en moins fertiles pour accroître la production. Ce sont alors les coûts de production unitaires exprimés en unités physiques qui augmentent et non plus seulement leurs prix.
En l'absence de progrès technique, la rareté des facteurs de production impose un plafond à la production. L'analyse précédente montre que plus la production se rapproche de ce plafond et plus le profit baisse. Cela soulève trois questions : la première est de savoir si la production peut atteindre son plafond, la deuxième est de savoir si elle peut s'y maintenir, la troisième est de savoir jusqu'à quel niveau le taux de profit va descendre.
La théorie keynésienne montre que deux obstacles peuvent empêcher la production d'atteindre son plafond : le taux de rendement des actifs financiers et l'insuffisance de la demande. Lorsque le taux de profit baisse, l'investissement devient moins attractif, les entreprises ont moins besoin de financement, si bien que leur offre de titres baisse aussi. La loi de l'offre et de la demande va faire monter le prix des titres, c'est-à-dire baisser leur taux de rendement. Ce raisonnement pourrait nous amener à penser que le rendement des actifs financiers suit nécessairement la baisse du taux de profit. Malheureusement, ce n'est pas le cas pour une raison fondamentale : l'offre de titres ne provient pas uniquement des entreprises, les ménages qui détiennent des titres sont potentiellement aussi bien offreurs que demandeurs de titres.
Ainsi, même si l'offre de titres par les entreprises est nulle, l'offre de titres par les ménages ne l'est pas et le prix des titres va se stabiliser, si bien que le taux de rendement des actifs financiers ne descendra jamais en-dessous d'un certain plancher. Ce plancher est également un plancher pour le taux de profit puisque l'entreprise a toujours la possibilité d'acquérir des titres plutôt que d'investir. Il se peut donc que lorsque le niveau de la production s'élève, le taux de profit atteigne son plancher et bloque la croissance de la production avant que celle-ci n'ait atteint son plafond. Le taux de rendement que procure la spéculation financière constitue également un plancher indépendant du mécanisme d'offre et de demande de titres.
L'insuffisance de la demande constitue cependant le principal obstacle à la croissance de la production. En effet, le multiplicateur keynésien met en évidence le lien entre le niveau de la production et celui de l'investissement, plus précisément celui de l'investissement net. Ainsi, au niveau maximum de la production correspond un investissement net donné. Rien ne garantit que l'investissement net réel puisse effectivement atteindre ce seuil. En effet, l'investissement net est lui-même dépendant des perspectives de croissance. Plus la production se rapproche de son plafond, plus les perspectives de croissance diminuent et moins l'investissement net devient utile. En effet, un investissement ne peut être entrepris que s'il a pour conséquence d'accroître le niveau de la production, dans le cas contraire il se traduirait par des coûts inutiles pour l'entreprise.
Le principal enseignement de la théorie keynésienne est certainement de montrer que, en l'absence de progrès technique, la production ne peut se maintenir à son niveau maximum, elle ne peut d'ailleurs se maintenir de manière durable à aucun niveau. En effet, la stabilité de la production implique des perspectives de croissance nulles, si bien que l'investissement net ne peut être positif. L'épargne des ménages est alors nulle, ce qui n'est compatible qu'avec un niveau très faible du revenu et de la production. Il arrive donc nécessairement un moment où la croissance s'arrête et où commence une phase de décroissance.
Lors des phases de décroissance, il faut remettre en cause l'hypothèse selon laquelle l'entreprise redistribue tout son revenu aux ménages. En effet, il se peut que la production diminue plus rapidement que le capital fixe, ce qui a pour conséquence de faire apparaître des capacités de production excédentaires. Or, dans ce contexte, la consommation de capital fixe devient un coût fixe pour l'entreprise puisqu'elle n'a pas intérêt à renouveler son capital. Le coût marginal est alors égal à la somme des consommations intermédiaires et des salaires. Puisque les entreprises vont fixer leur prix de vente de telle manière qu'il soit égal au coût marginal, la valeur de la production est aussi égale à la somme des consommations intermédiaires et des salaires, c'est-à-dire que la valeur ajoutée brute est égale aux seuls salaires. Pour calculer le bénéfice des entreprises, il faut déduire de la valeur ajoutée brute les salaires, la consommation de capital fixe et les intérêts payés. Le bénéfice devient alors une perte égale à la somme de la consommation de capital fixe et des intérêts payés. Puisque les entreprises réalisent des pertes, elles ne distribuent pas de dividendes, le revenu qu'elles distribuent est égal à la somme des salaires et des intérêts. On a donc :
(1) VAB = S
où VAB désigne la valeur ajoutée brute et S les salaires,
(2) VAB = C + I
où C désigne la consommation finale et I l'investissement brut.
Puisque l'investissement brut est nul, les équations (1) et (2) donnent :
(3) S = C
Mais, si nous désignons par RM le revenu des ménages et supposons une fonction de consommation simplifiée :
(4) C = a.RM
On a :
(5) S = a.RM
Par ailleurs :
(6) RM = S + i
où et i désigne les intérêts payés.
En combinant les équations (5) et (6) nous obtenons :
(7) RM = i / (1-a)
On retrouve ici la formule du multiplicateur keynésien mais l'investissement est remplacé par les intérêts payés. Dans la mesure où ces intérêts sont liés au capital, ils sont amenés à décroître avec lui. Ainsi, le fait que les entreprises distribuent plus de revenus que leur valeur ajoutée ralentit la chute de l'activité mais ne l'arrête pas. La reprise n'interviendra que lorsque le capital fixe aura suffisamment diminué pour que les perspectives de croissance redeviennent crédibles et justifient de nouveaux investissements.
En conclusion de cette analyse nous pouvons noter deux points, le premier est que le profit est très largement lié à la croissance, le second est qu'en période de récession aucune baisse du taux de salaire ne peut permettre de rétablir le profit puisque, sous l'hypothèse de concurrence parfaite, la fixation du prix au coût marginal a pour conséquence que toute baisse des salaires se traduit, non pas par une hausse des profits, mais par une baisse des prix.

Microéconomie et macroéconomie

L'étude précédente montre que la microéconomie et la macroéconomie donnent des visions très différentes de l'économie. En effet, alors que la microéconomie montre que la loi de l'offre et de la demande assure un équilibre général correspondant à la meilleure situation possible, la macroéconomie présente un monde instable où périodes de croissance et de dépressions se succèdent. Il est important de comprendre l'origine profonde de ce désaccord.
La spécificité de la macroéconomie réside principalement dans l'introduction de la problématique de l'accumulation au coeur de son raisonnement, alors que celle-ci reste très largement ignorée de la microéconomie. Plus précisément, la théorie keynésienne montre comment les volontés d'accumuler des entreprises et des ménages peuvent devenir incompatibles. L'accumulation des entreprises se fait sous la forme de capital fixe, c'est-à-dire sous une forme réelle, l'accumulation des ménages se fait sous la forme de titres, c'est-à-dire sous une forme purement financière. Soulignons ici que les ménages dont il est question ici sont des ménages purs et que les investissements en capital fixe qu'ils réalisent sont considérés comme les investissements d'entreprises individuelles. Les investissements en logement des ménages sont également assimilés à des investissements d'entreprises individuelles car les ménages consomment, non leurs logements, mais les services qu'ils rendent.
Les logiques d'accumulation des entreprises et des ménages sont très différentes, le problème est qu'au niveau global l'accumulation effective des entreprises et celle des ménages sont liées par une contrainte forte, l'égalité entre l'investissement net et l'épargne. Cette égalité signifie, en effet, que l'accumulation des entreprises et celle des ménages sont égales en valeur. Mais l'accumulation des entreprises est liée à leurs perspectives de croissance alors que l'accumulation des ménages est liée à leur revenu. Ainsi, lorsque le niveau de la production s'élève et se rapproche de son plafond potentiel, d'une part les perspectives de croissance des entreprises diminuent et donc leur désir d'accumuler, d'autre part le revenu des ménages augmente et donc également leur désir d'accumuler. Il arrive nécessairement un moment où apparaît une contradiction. Aucun équilibre stationnaire n'est cependant possible car un tel équilibre correspond à des perspectives de croissance nulles pour les entreprises, et donc à un désir d'accumuler nul, alors que le désir d'accumuler des ménages ne s'éteint qu'avec la pauvreté la plus extrême.
Le cœur du problème réside, en fait, dans la volonté des ménages d'accumuler de la richesse sous une forme financière et non sous la forme de biens produits. Si, par exemple, les ménages voulaient accumuler de la richesse en achetant des voitures, d'une part cette accumulation génèrerait une production, d'autre part ils s'apercevraient rapidement que leur accumulation n'est plus possible car tout leur revenu serait consacré au maintien en état de leur parc de voitures.
En décidant d'accumuler de la richesse sous forme de titres et de monnaie, les ménages laissent aux entreprises l'initiative de fixer le niveau de l'accumulation globale. Ils peuvent influencer l'investissement car ce sont eux qui le financent mais ils ne peuvent pas le déterminer. Plus précisément, en refusant leur financement les ménages peuvent bloquer l'investissement des entreprises mais ils n'ont aucun moyen d'obliger les entreprises à investir. Ils sont en cela dans la même situation qu'un banquier qui peut empêcher un client d'acquérir un logement en lui refusant un crédit mais qui ne peut en aucune façon obliger son client à acquérir un logement.
En accumulant de la richesse sous forme de titres qui sont supposés ne pas se déprécier au cours du temps, les ménages ont l'illusion que l'accumulation de richesse est potentiellement illimitée, la crise naît de la confrontation de cette illusion à la réalité d'une accumulation nécessairement limitée.
La microéconomie décrit une économie où les ménages cherchent à maximiser leur utilité, celle-ci étant liée à leur consommation. Elle ne fait donc aucune place aux titres financiers car ceux-ci n'ont pas d'utilité par eux-mêmes. La microéconomie ne peut comprendre l'achat d'un titre financier par un ménage que comme un moyen de différer dans le temps sa consommation. Ainsi, les analyses microéconomiques supposent souvent que les ménages épargnent pendant leur période d'activité et désépargnent pendant leur retraite. En faisant cette hypothèse, elles supposent que les ménages n'épargnent pas sur l'ensemble de leur vie et qu'ils meurent donc avec un capital égal à celui qu'ils possédaient à leur naissance. Implicitement, cette hypothèse revient à dire que l'épargne des ménages est nulle en régime stationnaire.
Les microéconomistes ont cherché à rendre leur hypothèse plus réaliste en tenant compte de l'héritage et d'une maximisation de la consommation sur plusieurs générations, mais cela n'enlève rien à la question fondamentale : pourquoi les ménages épargnent-ils ?
Si les ménages épargnent pour étaler dans le temps leur consommation, la microéconomie est pertinente, si les ménages épargnent pour d'autres motifs, ou plus précisément s'ils n'épargnent pas uniquement pour ce motif, la microéconomie n'est pas pertinente et il vaut mieux se tourner vers la macroéconomie. Il fut un temps où l'avarice et la thésaurisation étaient condamnées par la morale, c'est donc qu'il existait au moins une catégorie de personnes qui n'épargnaient pas uniquement pour différer leur consommation. Aujourd'hui encore, les milliardaires qui se sont constitués une immense fortune au cours de leur vie aspirent-ils toujours à mourir aussi pauvres qu'à leur naissance dès lors qu'ils n'ont pas d'héritiers ? La richesse ne procure-t-elle que l'avantage d'une forte consommation ? Certains ne cherchent-ils pas dans la richesse une source de pouvoir ou de reconnaissance sociale ?
La microéconomie et la macroéconomie sont toutes deux tout à fait logiques mais elles ne décrivent pas le même monde. Chacun peut se faire lui même son opinion et décider qui de la microéconomie ou de la macroéconomie décrit le mieux la réalité dans laquelle nous vivons.

La croissance

Comme nous venons de le voir, la croissance joue un rôle fondamental dans la théorie keynésienne et, plus généralement, en macroéconomie : puisqu'un régime stationnaire est impossible, la croissance apparaît comme le seul moyen d'éviter les récessions et les crises économiques. Cela explique pourquoi les économistes les plus optimistes adoptent généralement des modèles macroéconomiques fondés sur l'hypothèse d'une croissance perpétuelle, mais cette hypothèse est-elle réellement crédible ? Y répondre suppose de revenir sur la notion aujourd'hui si controversée de croissance, en particulier sur ses aspects qualitatifs.
Toute économie repose sur la combinaison de deux facteurs : le travail et les ressources naturelles. Le capital fixe qui est généralement nécessaire à la production est lui-même produit à partir de ces deux facteurs et ne joue donc qu'un rôle d'intermédiaire dans le processus de production. Le travail et les ressources naturelles étant nécessairement limités, faire croître la production indéfiniment suppose d'être capable de faire croître également indéfiniment, d'une part la production par heure travaillée, c'est-à-dire la productivité du travail, d'autre part la production par unité de ressources naturelles disponibles.
S'il n'y avait qu'un seul produit dans l'économie, ces deux conditions apparaîtraient difficiles à réunir. Il serait alors irréaliste d'envisager que la croissance puisse se poursuivre indéfiniment et cela d'autant plus qu'elle finirait nécessairement par se heurter à l'inévitable saturation de la consommation. Quelles que soient les baisses de prix, on imagine mal un ménage acheter dix voitures par mois ou une tonne de viande par jour. Ce raisonnement est vrai pour tous les produits.
Mais il n'y a pas qu'un seul produit dans l'économie, tous les jours des produits apparaissent, d'autres disparaissent, si bien que la croissance de la production n'est pas seulement quantitative, mais aussi qualitative. C'est uniquement grâce à sa dimension qualitative qu'une croissance durable est envisageable.
Lorsqu'un nouveau produit apparaît, il peut créer une demande nouvelle, c'est-à-dire rendre possible la poursuite de la croissance en retardant la saturation de la consommation. Mais s'il ne fait que s'ajouter aux produits existants, le nouveau produit se trouvera très rapidement confronté à la rareté du travail et des ressources naturelles. Pour qu'un nouveau produit contribue durablement à la croissance, il faut donc qu'il se substitue à un autre produit, ce qui libère la main-d'œuvre et les ressources naturelles nécessaires à sa production. Cependant, il ne suffit pas que le nouveau produit en chasse un ancien pour générer de la croissance, il faut également qu'il se traduise par un investissement supplémentaire, ou plus précisément par un investissement net supplémentaire, car c'est le niveau de l'investissement net qui détermine à moyen terme le niveau d'activité.
Il existe ainsi certaines circonstances où l'apparition de nouveaux produits ne contribue pas à la croissance. C'est le cas lorsque le nouveau bien ou service peut être produit avec le même capital fixe. Par exemple, la production d'un nouveau modèle de vêtement ne nécessite généralement pas l'acquisition de nouvelles machines. Le nouveau produit se substitue alors à l'ancien parce qu'il correspond mieux aux attentes de la clientèle, mais il ne relève généralement pas sensiblement le niveau de l'activité globale.
Pour comprendre le rôle des nouveaux produits, nous pouvons considérer une économie où les entreprises se classeraient en trois groupes :
  • les entreprises engagées dans de nouvelles activités ;
  • les entreprises engagées dans des activités anciennes mais stables ;
  • les entreprises engagées dans des activités en fin de vie.
Pour qu'un nouveau produit puisse en chasser un ancien, il faut qu'à coût égal, il intéresse davantage les consommateurs, c'est-à-dire qu'il puisse être vendu à un prix supérieur. Il dégagera alors des bénéfices substantiels et justifiera des investissements importants. Ainsi, les entreprises engagées dans de nouvelles activités se caractérisent le plus souvent par des profits élevés et une formation brute de capital fixe importante. Comme leurs activités sont nouvelles, leur capital fixe installé, et donc leur consommation de capital fixe, sont encore relativement faibles. Ainsi, c'est non seulement l'investissement brut de ces entreprises, mais également leur investissement net qui est fort, si bien que leur impact sur l'économie est particulièrement positif.
Les entreprises engagées dans des activités stables réalisent elles aussi des profits, souvent moins importants, mais elles se caractérisent surtout par la stabilité de leur capital fixe, la formation brute de capital fixe étant seulement destinée à remplacer les actifs en fin de vie. Leur investissement net est donc nul et elles n'ont pas d'impact sur le niveau de l'activité globale.
Les entreprises engagées dans des activités en fin de vie sont contraintes de baisser leurs prix et réalisent souvent des pertes. Comme elles ne renouvellent pas leur capital fixe, leur investissement brut est nul. Puisque leur capital fixe installé reste généralement important, leur consommation de capital fixe le reste également, si bien que leur investissement net est négatif. Cela veut-il dire que leur impact sur l'activité soit négatif ?
En fait, la réponse est non et il s'agit là d'un point fondamental qui mérite d'être développé. Les entreprises engagées dans des activités en fin de vie sont souvent confrontées à une baisse importante de la demande, si bien que leur capital fixe devient excédentaire par rapport à leurs besoins. Dans ces conditions, si nous faisons l'hypothèse d'une concurrence parfaite, elles sont amenées, comme nous l'avons vu précédemment, à baisser leurs prix de telle manière que la valeur de leur production soit égale à la somme des consommations intermédiaires et des salaires. En effet, la consommation de capital fixe apparaît alors comme un coût fixe qui ne doit pas être pris en compte dans la détermination du prix de vente. Mais, pour calculer le bénéfice des entreprises, c'est l'ensemble de leurs coûts qu'il faut déduire de la valeur de leur production et non seulement leurs coûts variables. Il faut donc déduire de la production les consommations intermédiaires, les salaires, la consommation de capital fixe et les intérêts payés. Le bénéfice est alors négatif, c'est une perte égale à la somme de la consommation de capital fixe et des intérêts payés. Puisqu'elles réalisent des pertes, les entreprises engagées dans des activités en fin de vie ne vont pas distribuer de dividendes et les revenus qu'elles versent aux ménages sont égaux à la somme des salaires et des intérêts payés.
Pour montrer l'impact des différents groupes d'entreprises nous pouvons réaliser un tableau où Ent1 désigne le groupe d'entreprises engagées dans de nouvelles activités, Ent2 le groupe d'entreprises engagées dans des activités stables, Ent3 le groupe d'entreprises engagées dans des activités en fin de vie. Dans ce tableau P désigne la production, RM le revenu distribué aux ménages, S les salaires, CCF la consommation de capital fixe et B les bénéfices. Nous avons négligé les consommations intermédiaires et les intérêts payés pour simplifier l'exposé.
 PRMP-RM
Ent1
Ent2
Ent3
S1+CCF1+B1
S2+CCF2+B2
S3
S1+B1
S2+B2
S3
CCF1
CCF2
0
On déduit de ce tableau que pour l'ensemble de l'économie, on a :
(1) P = RM + CCF1 + CCF2
Par ailleurs :
(2) P = C + I = C + I1 + I2 + I3
où C désigne la consommation des ménages et I l'investissement brut.
Si on fait l'hypothèse d'une fonction de consommation simplifiée, on a également :
(3) C = a.RM
en combinant les équations (1), (2) et (3) on obtient :
(4) RM + CCF1 + CCF2 = a.RM + I1 + I2 + I3
Or, CCF2 = I2 car les entreprises du groupe 2 ont un capital fixe constant, et I3=0 car les entreprises du groupe 3 n'investissent plus.
On en déduit :
(5) RM = (I1 - CCF1 ) / (1-a)
Cette formule montre que l'effet multiplicateur subsiste et qu'il ne dépend que de l'investissement net des entreprises engagées dans les nouvelles activités.
Ce résultat est remarquable car on aurait pu s'attendre à ce que l'investissement net négatif des entreprises du groupe 3 annule l'investissement net positif du groupe 1. En fait, il n'en est rien car les bénéfices et les pertes ne jouent pas des rôles symétriques. En effet, si les bénéfices des entreprises génèrent des revenus positifs pour les ménages sous forme de dividendes, les pertes des entreprises ne donnent pas lieu à des distributions de revenu négatives. Ainsi, les entreprises engagées dans des activités en fin de vie jouent un rôle fondamental dans la croissance, d'une part parce qu'elles libèrent de la main-d'œuvre et des ressources naturelles pour les nouvelles activités, d'autre part parce qu'elles distribuent aux ménages des revenus supérieurs à leur valeur ajoutée nette.
Il faut cependant préciser ce résultat, le raisonnement que nous venons de présenter s'applique à des entreprises et non à des produits. Si de nouveaux produits et des produits en fin de vie coexistent dans la même entreprise, les pertes réalisées sur les produits en fin de vie vont se déduire des profits réalisés sur les nouveaux produits et donc du revenu des ménages, atténuant ainsi les effets positifs des nouveaux investissements.
Les difficultés des entreprises engagées majoritairement dans des activités en fin de vie ont une autre conséquence : la valeur de leurs actions sur le marché va chuter. Or, nous avons vu que la valeur globale des titres était liée à la masse monétaire. Puisque la chute de la valeur des actions de certaines entreprises n'a pas d'impact direct sur la masse monétaire, on peut en déduire qu'elle n'a pas non plus d'impact sur la valeur globale des titres. En d'autres termes, la chute de la valeur de ces actions sera compensée par la hausse de la valeur des autres titres, ce qui est équivalent à une baisse du taux d'intérêt et est donc favorable au financement de l'investissement dans les nouvelles activités.
Cependant, si les entreprises en difficulté remboursent progressivement leurs dettes auprès du système bancaire, on assistera à une décroissance de la masse monétaire qui pèsera sur la valeur globale des actifs financiers. À l'inverse, si les entreprises en difficulté font faillite, il est possible qu'elles ne soient pas en mesure de rembourser leurs dettes, ce qui a pour conséquence de maintenir la masse monétaire à son niveau et donc le niveau global des actifs financiers ; l'effet positif sur le financement de l'investissement dans les nouvelles activités est alors maximal.
Ainsi, les nouveaux produits rendent possible une poursuite de la croissance s'ils chassent d'autres produits du marché. Cependant trois remarques s'imposent.
La première porte sur le lien entre croissance et progrès. Il est habituel de présenter la croissance comme l'une des causes principales de l'amélioration des conditions de vie des ménages. C'est souvent vrai, mais il faut cependant préciser la situation de référence par rapport à laquelle est défini le progrès.
Par exemple, considérons deux produits, les calèches et les voitures automobiles. Au début, seules sont produites des calèches, puis apparaissent les automobiles. Les automobiles, beaucoup plus performantes, vont se substituer aux calèches, si bien que les entreprises qui produisaient des calèches vont faire faillite. Cela génère une première phase de croissance qui est généralement considérée comme un progrès pour les ménages. Mais, supposons maintenant que le pétrole s'épuise, l'industrie automobile va disparaître et les calèches vont se substituer aux automobiles, ce qui génère une nouvelle phase de croissance. C'est maintenant la calèche qui apparaît comme un progrès par rapport à l'automobile puisqu'elle peut fonctionner sans pétrole. Pourtant, cela ne signifie pas que les ménages préfèrent la nouvelle situation à l'ancienne, simplement ils doivent s'adapter au mieux à l'évolution de leur environnement et la calèche leur apparaît le produit le mieux adapté pour cela.
La deuxième remarque porte sur le caractère durable de la croissance. Rien ne peut garantir que de nouveaux produits généreront des investissements suffisants pour garantir le plein emploi. Cela a été le cas lors de périodes relativement longues après de grandes inventions comme la machine à vapeur ou le moteur à explosion qui ont toutes deux permis d'utiliser intensivement les ressources naturelles. Mais, d'une part le progrès est rarement linéaire, et des périodes de surinvestissement peuvent être suivies de périodes de dépression, d'autre part les nouveaux produits peuvent générer un investissement insuffisant pour maintenir le plein emploi.
Ainsi, dans notre exemple, ce n'est pas la faillite des entreprises produisant des calèches qui explique l'impact de l'automobile sur la croissance, mais l'engouement suscité par ce nouveau produit qui a révolutionné la vie de bien des ménages, mobilisant les énergies et les imaginations, justifiant les plus grands sacrifices en termes de travail et de risque, tirant l'investissement et toute l'économie pendant des décennies. À l'inverse, les calèches doivent être tirées par des chevaux qui nécessitent des ressources importantes en terres pour les nourrir, la croissance de leur production se heurtera donc rapidement à la rareté des ressources naturelles et elle ne pourra jamais avoir un effet sur l'investissement comparable à celui qu'a eu l'automobile.
La troisième remarque porte sur l'impact positif des faillites. Lorsque celles-ci sont trop nombreuses elles peuvent se traduire par une baisse du revenu global des ménages telle que la conjoncture économique apparaisse si dégradée que les investisseurs soient amenés à différer leurs projets, même ceux portant sur de nouveaux produits pourtant potentiellement prometteurs. Les faillites n'auront alors aucun impact positif sur la croissance, au contraire elles génèreront une récession.
Ainsi, si la dimension qualitative de la croissance apparaît comme l'une de ses composantes essentielles, rien ne permet réellement de penser qu'elle puisse lui conférer en toutes circonstances un caractère durable. Retenir l'hypothèse d'une croissance perpétuelle peut alors apparaître comme l'expression d'un optimisme peu raisonnable, ou même comme un moyen de supposer dès le départ le problème résolu.