jeudi 15 octobre 2015

La crise des dettes Publiques

La crise des dettes Publiques :

L'enjeu de cette vidéo est d'expliquer la crise des dettes publiques, de manière accessible au public le plus large possible. Je vais d'abord fournir quelques informations brutes, chiffrées, sur la dette publique française pour bien savoir de quoi on parle : le montant, les taux d'intérêts, qui la détient, quelles réponses pourraient y être apportées …
Ensuite on élargira la question car la crise de la dette c'est aussi celle de l'Europe, des Etats européens, de ses banques et de sa monnaie. Et cette crise de l'Europe se situe elle-même dans un monde économique avec des déséquilibres croissants, des contradictions internes de plus en plus flagrantes, des inégalités sociales qui explosent et le risque d'une sévère période de récession globale.

La dette publique française.

Commençons par la Dette publique de la France et observons sa courbe en pourcentage du pib depuis 1978 :On constate que cette dette commence à monter à partir des années 80 et que cette montée s'accélère à partir de 2008. La dette s'affiche maintenant autour de 1700 milliards d'Euros et les intérêts payés en 2011 s'élèvent à 50 milliards d'euros.
Ce n'est pas le fait qu'il y ait une dette publique qui pose question, il existe un décalage naturel entre le budget d'une année et les rentrées fiscales. Les contribuables payent en 2011 l'impôt sur le revenu de 2010. Il n'y a donc rien d'anormal à ce qu'un Etat et des collectivités publiques empruntent, pour combler ce décalage, ni non plus à ce qu'ils empruntent pour financer des investissements coûteux. Ce qui pose question est le niveau de cette dette, la rapidité de sa croissance, et les conséquences qui en découlent.

La montée de la dette est bien sur le résultat d'une suite de déficits publics et on va maintenant ajouter à ce graphique la courbe des dépenses publiques en bleu, celle des recettes en rose, ainsi que celle du montant des déficits en rouge.Ce graphique nous montre l'existence d'un déficit permanent depuis 1981, plus ou moins important suivant les périodes de faiblesse ou de force de la croissance. Chaque déficit est compensé par des emprunts dont la durée peut varier d'un mois à 50 ans. On paye donc aujourd'hui pour rembourser des emprunts à différents termes et dont l'origine peut remonter pour quelques-uns jusqu'aux années 60. C'est donc cette somme de remboursements cumulés, de capital et d'intérêts, qui fait la dette actuelle.
La France n'est pas le seul pays endetté et ce n'est pas non plus le pire. Ce tableau nous montre les dettes de plusieurs pays européens en % du pib et pour quelques-uns des estimations pour 2011 [1].
On voit que les déficits augmentent rapidement pour les pays les plus endettés.

Les taux d'intérêts

Qui dit crédit dit intérêts à payer et les taux d'intérêts sont déterminés en fonction du risque, risque pouvant lui-même varier en fonction de la durée de l'emprunt. Le taux d'intérêt sur un nouvel emprunt à 10 ans peut varier assez rapidement, il s'affichait en novembre 2011 autour de 3, 5 % pour la France [2], contre un peu moins de 2 % pour l'Allemagne, mais 7 pour l'Italie, 11,4 pour le Portugal et 28,5 pour la Grèce [3]. Plus le pays est en difficulté, plus les risques de défauts de paiement sont élevés et donc les taux d'intérêts. Un taux d'intérêt élevé augmente inévitablement les difficultés du pays à rembourser et, plus les taux sont élevés, plus ils apparaissent alors clairement du domaine de la spéculation.

Les agences de notation

Pour pouvoir apprécier l'ampleur du risque et fixer leurs taux, les prêteurs ont pour usage de faire appel à des agences privées spécialisées dans la notation des emprunteurs. Pour les plus importantes, on citera Moody's, Standard and Poor's, Fitch. Ces agences de notations renseignent les prêteurs aussi bien sur les Etats ou les entreprises que sur les ménages américains et c'est en fonction de la note attribuée que les prêteurs fixent leurs taux. D'où la mise sous pression des gouvernements pour que leur pays conserve la meilleure note possible, le triple A , justifiant ainsi les politiques d'austérité budgétaire et la casse sociale qui en découle. C'est pour conserver ce AAA que le calendrier de la réforme des retraites a été accéléré, que l'on coupe régulièrement dans les budgets sociaux et que l'on fait des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux épargnants capitalistes.

Origines de la dette française

Nous avons vu que la dette française était le résultat d'une accumulation continue de déficit public depuis quelques décennies, essayons de voir un peu plus finement à partir de la courbe des recettes et des dépenses.
La dette française commence sa montée en 1981. Un premier déficit était même apparu en 1974 avec le plan de relance Chirac, donc avec la crise du capitalisme régulé des 30 glorieuses qui voit la chute de la croissance et des profits.  Les gouvernements successifs essayent de relancer la croissance par la dépense publique. Il n'y a rien d'anormal à cela sauf que cette augmentation des dépenses ne s'accompagne pas de recettes équivalentes. Les recettes augmentent jusqu'à 1997 où elles s'élèvent à 50,9 % du pib, puis stagnent ensuite dans une petite fourchette autour de 50 %. Ceci alors que les dépenses continuent de grimper jusqu'à dépasser les 56 % depuis 2009, d'où la forte accélération de la dette depuis cette année là.
La propagande capitaliste nous martèle que la dette vient de trop de dépenses, le verre est vu comme à moitié vide. Pourtant les statistiques nous montrent que ce sont les recettes qui n'ont pas continué à suivre la montée des dépenses et que le verre peut alors être vu comme à moitié plein.  Alors quelles sont les causes de ce déficit relatif de recettes ? Depuis les années 80, on assiste à une baisse de la fiscalité des ménages les plus riches et des entreprises.
- C'est la baisse de I'impôt sur le revenu : le taux d'imposition de la tranche la plus élévée était de 65 % il y a 25 ans, il est actuellement de 41 %.
- C'est la multiplication des niches fiscales, 75 milliards d'euros en 2010 tous impôts confondus.
- C'est le bouclier fiscal depuis 2009
- Pour les entreprises, c'est l'impôt sur les bénéfices qui est passé de 45 % en 1986 à 33,3 % aujourd'hui; avec des mesures dérogatoires qui font qu'il est en réalité de 13% pour les entreprises qui emploient plus de 2000 salariés et de 8 % pour celles du cac40, facilitant ainsi l'engraissement des actionnaires.
- C'est aussi les baisses de cotisations sociales des entreprises car le déficit de la sécu est inclus dans le déficit public.
Ce qu'on voit alors clairement, c'est que la dette permet de mettre en place  une logique de transfert de richesses vers les plus riches. Ils sont gagnants sur tous les tableaux. Les sommes correspondant aux cadeaux fiscaux peuvent être transformés en actions ou être prêtées, entre autres à l'Etat, moyennant intérêt. Pour cette petite minorité, c'est donc le beurre plus l'argent du beurre, le tout payé par le reste du peuple. Ce qui pose alors la question de la légitimité de cette dette. Alors voyons qui la possède, à qui profite-t-elle ?

Qui possède la dette ?

L'Etat a emprunté à la Banque de France jusqu'à ce que, en 1973, Valery Giscard d'Estaing  fasse passer une loi interdisant cette pratique et obligeant à emprunter sur les marchés privés. Aujourd'hui environ 20 % de la dette française est détenue par les compagnies d'assurances françaises (donc indirectement par l'épargne des classes moyennes) et 14 % par les banques françaises. Les 66 % restants sont détenus par des institutions financières étrangères : fonds de pension (caisses de retraites), grandes banques, compagnies d'assurance, fonds souverains ... sans qu'on puisse savoir plus précisément qui détient combien car la loi interdit de le divulguer.
Ce qui pose à nouveau la question de la légitimité d'une partie de la dette, pourquoi les Etats sont-ils obligés de s'endetter auprès des banques privées alors que celles-ci peuvent emprunter directement et pour moins cher à la Banque Centrale ?  Ces interrogations sur la légitimité de la dette ont conduit à la mise en place d'un collectif pour un audit citoyen composé d'une vingtaine d'organisations associatives et syndicales, et soutenu par plusieurs formations politiques. Un audit pour savoir précisément comment et dans quelles conditions ces dettes ont été achetées, afin de voir quelle est leur légitimité et envisager une restructuration de leurs remboursements.

Les crises de la zone Euro

Maintenant élargissons la crise française à la zone Euro. Dans la zone Euro il y a plusieurs crises qui s'empilent : la crise des pays les plus endettés, la crise des banques et la crise de l'Europe.
            La crise des pays les plus endettés
 Au cœur de la crise de la zone Euro se trouve la dette des pays les plus en difficulté financière. Le pays le plus avancé dans cette crise est la Grèce, dont la dette a dépassé les 160 % du pib et à qui les prêteurs réclament des taux de 28 %. Ensuite se trouvent le Portugal et l'Italie. Pour la Grèce, chacun sait qu'elle ne pourra pas rembourser sa dette avant des décennies, qu'elle risque rapidement un défaut de paiement et que les taux spéculatifs qu'on lui propose ne font qu'aggraver ses difficultés.
Les exigences de la Troïka (Commission Européenne, BCE, et FMI) , acceptées le couteau sous la gorge par la Grèce, entraînent des politiques d'austérité sans précédent : toujours plus de privatisations, taxes sur les boissons, l'automobile, l'immobilier, baisse des salaires des fonctionnaires et chômage technique pour une partie d'entre eux, gel des retraites, baisse de 20 % des retraites supérieures à 1200 €. Avec pour conséquence un chômage s'envolant vers les 20 % et une récession qui rendent encore plus difficile le remboursement de la dette. Ce qui transfère alors la crise de la Grèce aux banques qui ont largement financé son endettement.
         La crise des banques
La deuxième crise de la zone Euro est donc celle de ses banques qui détiennent, avec les compagnies d'assurances, la majeure partie des dettes des pays d'Europe les plus endettés, dont 71 % de celle de la Grèce. On est ici dans une situation qui ressemble à la crise des subprimes, où des risques de défaut de paiement obligent les banques à accumuler des réserves et à réduire leurs offres de crédits, et qui les conduiraient à des situations plus graves encore si ces risques de défaut de paiement se transféraient à d'autres pays de la zone Euro.
Pour aider les pays en difficulté et par contrecoup les banques, l'Europe a créé un Fond Européen de Stabilité Financière (FESF) qui peut emprunter à son nom sur les marchés financiers et reprêter aux pays à des taux moindres que ceux des banques privées, à condition que ces pays acceptent les contraintes budgétaires imposées par la Triade.
Depuis mai 2010, la BCE achète des titres de dettes d'Etat Européen sur le marché secondaire, secondaire veut dire qu'elle n'achète pas directement aux Etats, qu'elles ne leur prête pas, mais qu'elle rachète des titres d'occasion aux banques. Il ne s'agit pas d'aider les pays mais d'aider les banques. Pour essayer de limiter leur propre casse, les banques privées ont accepté d'effacer  50 % de la dette grecque qu'elles possèdent, ce qui est censé ramener le déficit à 120 % d'ici 2020 , objectif qui apparaît très peu crédible.
          La crise de l'Europe
La troisième crise de la zone Euro est celle de l'Europe. Une Europe libérale où les pays sont soumis à une forte concurrence interne. Une Europe qui pousse à la recherche absolue de la compétitivité et à la casse sociale. Une Europe qui se joint aux marchés financiers pour réclamer des plans d'austérité et faire ainsi payer par les peuples les créances des plus riches. Ce sont les politiques européennes libérales qui ont aggravé les divergences entre les pays et fait exploser la dette des plus fragiles. Elles ont ensuite rendu impossible la mise en place d'une stratégie cohérente pour mieux faire face à la crise.
Des réponses au niveau européen passeraient en premier lieu par une autre orientation de la politique européenne.
- Une Europe qui ne serait plus au service des marchés financiers mais à celui des populations.
- Une Europe reposant sur la solidarité entre ses pays membres et non plus sur la concurrence interne.
- Avec une banque centrale qui pourrait prêter directement aux Etats au lieu d'engraisser les marchés financiers tout en faisant payer la note aux peuples.
- Avec un service bancaire public.

Aujourd'hui, les groupes industriels européens investissent dans les pays à bas salaires et suppriment massivement des emplois, les plans d'austérité ont des effets négatifs sur la consommation des ménages. La croissance devient de plus en plus faible et les économies européennes sont confrontées à la perspective d'une longue récession, avec un chômage et une précarité massifs laissant planer beaucoup d'incertitudes sur le devenir de l'Europe et de sa monnaie unique. On ne peut plus alors regarder la crise de la zone Euro sans l'articuler avec la crise mondiale.

La crises des dettes publiques dans la crise globale

Dans l'économie mondiale, les dettes publiques européennes ne sont qu'un déséquilibre parmi bien d'autres. Il y a d'abord les dettes publiques hors zone Euro, la dette publique japonaise s'élève à 230 % du pib, celle des Etats-Unis à 100 % et toutes les deux augmentent très rapidement. 
Mais si les dettes publiques atteignent des sommets, que dire alors des dettes privées des ménages et des entreprises non-financières ? C'est 160 % du pib pour les Etats-Unis, 151 pour le Japon, 122 pour la France, 177, pour l'Angleterre, et 199 pour l'Espagne. A l'exception du Japon les dettes des agents économiques privés sont largement supérieures aux dettes des administrations publiques. Tout comme elles elles augmentent, plus ou moins régulièrement depuis les années 70 et l'endettement total atteint des sommets historiques.
Toutefois les dettes publiques ou privées sont des déséquilibres qui vont de paire avec d'autres déséquilibres, tous aussi croissants que celui des dettes.
- Des bulles immobilières qui n'en finissent pas d'éclater, comme aux Etats-Unis ou en Espagne.
- Des déséquilibres commerciaux qui s'amplifient, surtout entre la Chine et les autres pays.
- Une bulle de surinvestissement en Chine, qui d'après l'économiste Nouriel Roubini " connaît un excès de capitaux physiques, d'infrastructures et de constructions. Avec des aéroports magnifiques mais vides, des trains à grande vitesse ultramodernes vides eux aussi, des autoroutes qui ne mènent nulle part, des milliers de nouveaux bâtiments officiels destinés au gouvernement central ou aux gouvernements provinciaux, des villes-fantomes et des hauts fourneaux d'aluminium flambants neufs qui restent fermés pour éviter que les prix mondiaux ne plongent." Ajoutons que beaucoup de ces structures sont financées par un endettement massif des administrations régionales ou locales, ce qui ajoute une bulle de crédit qui menace directement les banques chinoises.
Face à ces déséquilibres, le gros risque est celui d'une récession globale qui entraînerait des défauts de paiements en cascade. Cette situation poserait alors un problème majeur à l'ensemble du système monétaire et financier, pouvant aller jusqu'à son effondrement.
Alors pourquoi tous ces déséquilibres, pourquoi cet endettement croisssant ? C'est simplement le résultat d'une recherche de la croissance économique par tous les moyens.
Le capitalisme est un système économique qui ne peut pas fonctionner sans croissance, sinon c'est la crise chronique. Cette logique de croissance découle d'un mécanisme d'accumulation du capital, qui est propre à ce système, et que j'explique dans une autre vidéo sur Dailymotion : "l'impasse du capitalisme". Faute d'une croissance économique suffisante pour ses besoins de profit, depuis 3 décennies, le système accumule comme jamais des titres de créances. La croissance du capital se construit aujourd'hui sur toujours plus de crédit, toujours plus d'endettement des ménages, des entreprises et des Etats.
On voit alors apparaître de plus en plus clairement une des contradictions profondes du capitalisme. Cette logique d'endettement croissant permet au capital de continuer à dégager du profit et à s'accumuler à court terme, mais conduit à une impasse économique et sociale totale, une impasse qui devient de plus en plus insoutenable pour les économies mais surtout pour les peuples.
La crise des dettes publiques n'est qu'une facette d'une crise beaucoup plus grave et aux conséquences à venir beaucoup plus importantes : la crise du capitalisme.
Les dettes publiques sont le résultat des échecs des politiques de relance d'un système condamné par sa propre logique, un système dont le moteur est le droit au profit privé du capital, un système régit par l'appât du gain et qui permet aux plus riches de s'enrichir indéfiniment aux dépens de ce peuple que les indignés américains appellent les 99 %.
Ces dettes ne sont pas les nôtres et ce n'est pas à nous de les payer.

Sources : CIA World Factbook, FMI, Yahoo news

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