jeudi 15 octobre 2015

Les stratégies de sortie de crise

Les stratégies de sortie de crise







Les déficits publics alimentent toujours la demande, mais plus nécessairement la demande intérieure, ils peuvent bénéficier aussi et même davantage aux autres pays. Plus le pays est ouvert sur l'extérieur et moins les politiques de relance keynésienne sont efficaces. Dans tous les cas, les déficits ont pour principal effet négatif d’accroître la dette publique. Or, depuis que les déficits ne sont plus financés par la planche à billets, la dette doit pouvoir être remboursée, elle pèse donc sur l’avenir. Mais sur l’avenir de qui, précisément ? Dans les pays les plus endettés, les riches sont partis ou ont déjà un pied dehors. La dette devra être payée par ceux qui ne pourront que rester, faute de moyens, c’est-à-dire l’immense majorité des classes moyennes et populaires.
Dans un monde sans croissance comme nous le connaissons, l’accumulation globale est faible, voire nulle, si bien que l’enrichissement des uns n’est possible que grâce à l’appauvrissement des autres. Les déficits publics permettent ainsi aux riches de continuer à s’enrichir grâce à l’appauvrissement de l’Etat, ils créent une richesse privée, mobile, en contrepartie d’une dette collective liée au territoire, ils ne peuvent clairement plus être considérés comme un instrument au service du plus grand nombre.
Mais la libéralisation des mouvements de capitaux a aussi pour effet de mettre les salariés des pays développés en concurrence avec l’immense masse des salariés sous-payés des pays émergents. Les rapports entre le capital et le travail ont donc été bouleversés en faveur du capital. La conséquence en est inéluctable : dans tous les pays développés, les forces du marché tendent à faire baisser les salaires jusqu’à les faire atteindre des niveaux proches de ceux des pays émergents. Ceux qui s'opposent à la baisse des salaires par des mesures administratives risquent alors de connaître le chômage de masse et l’explosion des mécanismes de protection sociale.
La libéralisation des mouvements de capitaux n'est cependant pas seule en cause. La libre circulation des biens et des services suffit à elle seule à imposer à tous les pays une structure commune des rémunérations entre les différentes catégories de salariés. Or, les salariés peu qualifiés des pays développés sont relativement mieux payés que leurs homologues des pays émergents, ce sont donc eux qui subissent la plus forte pression à la baisse sur leurs revenus.
Puisque la mondialisation a réintégré dans les circuits commerciaux une grande masse de salariés pauvres, la solution bénéfique au plus grand nombre serait de faire croître le capital productif dans les mêmes proportions que la main d'œuvre effectivement disponible. Pour cela, il faudrait pouvoir faire baisser significativement le coût du capital, c'est-à-dire le taux de profit. Malheureusement, le monde actuel ne se caractérise pas seulement par la mondialisation, mais aussi par l'extrême développement des activités spéculatives. Or, en offrant aux investisseurs des placements particulièrement rémunérateurs, ces activités imposent à l'ensemble de l'économie des taux de profit très élevés, c'est-à-dire qu'elles constituent un obstacle majeur au développement du capital productif au niveau mondial.
Le problème est qu'il est très difficile d'éradiquer la spéculation financière car cela supposerait une action forte et coordonnée de l'ensemble des pays. En l'absence d'une telle perspective dans un avenir proche, seules des actions au niveau d'un pays ou d'un groupe de pays peuvent s'avérer efficaces.
Au niveau national, les conséquences politiques de la mondialisation sont immenses. Si elle a incontestablement été un facteur de progrès dans de nombreux pays pauvres, elle a aussi permis aux différentes classes sociales de briser les liens qui les contraignaient à un minimum de solidarité. Les classes supérieures se sont internationalisées, les classes moyennes des pays développés doutent. Traditionnellement proches des classes supérieures par leur rejet des classes populaires, elles se sentent abandonnées par leurs alliés mais peinent à y croire. Elles espèrent qu'il suffirait de supporter des sacrifices quelques années pour que tout redevienne comme avant, ou bien qu'il leur sera toujours possible de fuir à l’étranger. Elles pensent même parfois que tout irait mieux si les classes populaires se résignaient enfin à réduire leur niveau de vie.
Mais la réalité est que, trop chères au regard des normes internationales, les classes moyennes occidentales apparaissent de plus en plus comme un fardeau qu'il convient d'alléger, si bien que rien n’arrêtera leur longue glissade vers les classes populaires. Contraintes de supporter ensemble le poids de la dette publique, les classes moyennes et populaires devraient comprendre qu’elles sont liées par le même destin. En acceptant démocratiquement les nouvelles règles du jeu économique, elles se sont condamnées elles-mêmes au déclin et c’est uniquement en changeant à nouveau les règles du jeu qu’elles pourront échapper au naufrage.
Les lois économiques sont bien incertaines et changeantes. Pourtant, il en est une universelle et intemporelle : les hommes ne peuvent vivre sans avoir accès aux ressources naturelles, aux infrastructures, aux machines et au savoir, c’est-à-dire au capital. Pour vivre, il faut donc nécessairement, soit posséder le capital, soit être lié à ceux qui le possèdent. Or, la libéralisation des mouvements de capitaux a rompu le lien qui unissait les classes supérieures propriétaires du capital aux classes moyennes et populaires vivant principalement de leur travail.
Pour espérer retrouver leur place dans la société, les classes moyennes et populaires n’ont donc que deux solutions : soit rétablir le lien qui les unissait au capital des classes supérieures, soit constituer leur propre capital.

La théorie keynésienne

La théorie keynésienne repose sur l'analyse, au niveau macroéconomique, de l'articulation entre l'accumulation et la demande. L'accumulation est recherchée aussi bien par les entreprises que par les ménages, les entreprises investissent pour se développer et améliorer leur compétitivité, les ménages épargnent une partie de leur revenu pour accroître leur patrimoine.
Au niveau de l'économie globale, la seule possibilité d'accumulation réside dans l'investissement net
Au niveau de l'économie globale, la seule possibilité d'accumulation réside dans l'investissement net puisque celui-ci correspond à l'accroissement de richesse réelle, l'épargne n'en étant que la contrepartie. Si l'on fait l'hypothèse que les entreprises distribuent tout leur revenu aux ménages, cela implique que l'épargne des ménages est déterminée par l'investissement net des entreprises.
En l'absence de croissance, le capital fixe des entreprises se stabilise et leur investissement net s'annule. La conséquence en est que l'épargne des ménages s'annule aussi. C'est ici qu'intervient le rôle de la demande.
La demande des ménages correspond à leur consommation. Celle-ci génère une production qui elle-même génère des revenus pour les entreprises, ces revenus sont distribués aux ménages. Le problème est que, du fait de leur désir d'accumulation, les ménages n'utilisent qu'une partie de leur revenu pour consommer. La demande des ménages est donc toujours inférieure à la production qu'elle génère, si bien qu'elle ne suffit pas à maintenir l'activité. Pour initier et développer la production, une autre demande, que l'on peut qualifier de primaire, est nécessaire. Dans une économie en croissance, c'est l'investissement net des entreprises qui joue le rôle de demande primaire.
Le blocage de l'accumulation provoque l'effondrement de la demande
En l'absence de croissance, l'investissement net s'annule, il n'y a plus de demande primaire, la demande des ménages ne peut suffire à maintenir l'activité, c'est la crise. Le blocage de l'accumulation provoque donc l'effondrement de la demande. La conséquence en est qu'une économie ne peut rester en régime stationnaire sans intervention extérieure, soit elle est en croissance, soit elle est en dépression. Pour remédier à cet inconvénient, les politiques dites keynésiennes consistent à compenser l'insuffisance de la demande des entreprises par la demande de l'État.
Les politiques keynésiennes consistent à compenser l'insuffisance de la demande des entreprises par la demande de l'État
L'État exerce une action positive sur la demande par ses dépenses, une action négative par ses impôts. Son impact réel sur la demande provient donc du déficit public, c'est lui qui va jouer le rôle de demande primaire lorsque l'investissement des entreprises est défaillant. Les politiques keynésiennes reposent sur l'hypothèse que, malgré une succession de périodes de surchauffe et de dépression, l'économie connaît une croissance de long terme. Pour lisser l'activité, l'État intervient lors des phases dépressives en stimulant la demande par des déficits, lors des phases de croissance il compense par des excédents.
Le problème est qu'en l'absence de croissance de long terme, les déficits l'emportent sur les excédents et la dette publique s'envole, du moins lorsqu'on s'interdit de financer les déficits publics par création monétaire. Or, la croissance a commencé à s'épuiser dès la fin des années soixante. La croissance de la consommation est devenue moins dynamique, puis la première crise pétrolière a marqué la fin de l'énergie bon marché. L'épuisement des ressources naturelles et les contraintes liées à l'environnement ont ainsi mis fin au modèle de croissance que connaissait le monde depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Les économies ont alors tenté de s'adapter en mettant en place la mondialisation.

La mondialisation

La mondialisation a eu raison des politiques keynésiennes de relance par la demande dans la plupart des pays. En effet, la théorie keynésienne a été définie dans le cadre d'une économie fermée – ce qui ne lui enlève pas tout son intérêt car l'économie mondiale considérée comme un tout est une économie fermée – si bien qu'elle semble peu adaptée à une économie ouverte puisque, sous l'effet conjugué de la libéralisation des échanges et de la faiblesse de la croissance, ce sont les exportations – ou plus précisément l'excédent de la balance commerciale – qui viennent se substituer à l'investissement net comme principale composante de la demande primaire.
Les conséquences en sont extrêmement importantes. En effet, les salariés qui apparaissaient au niveau macroéconomique comme des consommateurs tirant la croissance, sont de plus en plus considérés comme de simples éléments de coût. En outre, dans une économie mondialisée, un accroissement de la demande intérieure se traduit souvent davantage par une hausse des importations que par une hausse de la production nationale. Les politiques de la demande ont alors fait place dans de nombreux pays à des politiques de l'offre, c'est-à-dire à des politiques visant à faire baisser les coûts de production par une réduction des salaires et des impôts de manière à pouvoir concurrencer efficacement les autres pays.
Il convient ici de souligner le rôle fondamental, mais trop souvent sous-estimé, joué par la liberté de circulation des capitaux. En effet, en l'absence de mouvements de capitaux entre pays, exportations et importations s'équilibrent grâce au taux de change, c'est-à-dire qu'en l'absence de politique de change volontariste, les échanges extérieurs ne peuvent pas tirer la croissance. On se retrouve alors dans la même situation que dans une économie fermée, c'est-à-dire une économie où la théorie keynésienne s'applique.
Mais, si les capitaux peuvent circuler librement, l'équilibre de la balance commerciale n'est plus nécessairement assuré car un déficit de la balance commerciale peut être couvert par des entrées de capitaux et, inversement, un excédent durable de la balance commerciales est rendu possible par des sorties de capitaux. Autrement dit, les exportations de biens et services ne servent plus uniquement à financer les importations, mais aussi à acquérir des actifs financiers dans d'autres pays. De cette façon, la poursuite de l'accumulation des ménages est rendue possible, non plus seulement grâce à l'investissement net intérieur, mais aussi grâce à l'accumulation d'actifs financiers étrangers.
La concurrence entre pays devient alors un enjeu majeur car, pour l'ensemble du monde, le total des exportations est nécessairement égal à celui des importations, si bien qu'un excédent de la balance commerciale pour un pays n'est possible que si d'autres pays connaissent des déficits.
La liberté de circulation des capitaux ne fait pas qu'accentuer la guerre économique que se livrent les pays, elle en modifie aussi les règles. En effet, lorsque les capitaux peuvent circuler librement, les taux de profit tendent à s'égaliser dans tous les pays, si bien que, pour espérer pouvoir financer ses investissements et donc maintenir ou développer ses capacités de production, un pays doit pouvoir garantir des taux de profit au moins égaux à ceux du reste du monde. La guerre économique devient alors avant tout une guerre des taux de profit, le pays le plus efficace pouvant ainsi aussi bien être celui qui est capable de maintenir les salaires les plus bas que celui qui est le plus productif.
La libéralisation des mouvements de capitaux a donc bouleversé les rapports de force entre pays. Certains pays jusque-là peu développés, sont devenus très compétitifs grâce à leur capacité à exploiter la main-d'œuvre. À l'inverse, des pays disposant d'une main-d'œuvre bien formée, mais moins docile, ont commencé à décliner.
Ce bouleversement des rapports de force s'est traduit par des investissements massifs dans les pays qui, grâce à leur main-d'œuvre à bas coût, sont apparus comme de nouveaux eldorados pour les capitaux. C'est ainsi que la libéralisation des échanges de biens et de capitaux a, dans un premier temps, eu des conséquences positives sur la croissance en permettant de forts investissements dans les pays émergents, ce qui fut incontestablement un argument décisif pour la faire accepter.
Mais la mondialisation s'est aussi accompagnée d'une financiarisation extrême de l'économie.

La spéculation

La spéculation financière est devenue une activité économique à part entière qui entre en concurrence avec les activités productives
La financiarisation de l'économie s'est accompagnée d'un phénomène qui existait déjà du temps de Keynes mais qui a pris une ampleur telle qu'il modifie en profondeur le fonctionnement de l'économie, ce phénomène est la spéculation financière. Elle est, en effet, devenue une activité économique à part entière qui entre en concurrence avec les activités productives.
La spéculation financière est un jeu à somme nulle, c'est-à-dire que ce qui est gagné par l'un est nécessairement perdu par l'autre. Elle ne pourrait se développer si tous les agents partaient à égalité. Mais la théorie des probabilités enseigne que, dans un tel jeu, celui qui peut supporter les plus grosses pertes, généralement le plus riche, a la plus grande chance de gagner. Quand s'y ajoute un avantage en termes d'information et de compétence, le gain est quasi certain. Les banques qui spéculent avec leurs traders sont précisément dans ce cas.
La spéculation financière a, du point de vue économique, des effets assez proches de ceux des pillages d'autrefois, elle prélève ses gains sur les patrimoines des perdants pour les redistribuer sous forme de revenus aux vainqueurs. De ce point de vue, elle joue un rôle de stimulant pour l'activité économique. Cependant, comme ceux du pillage, les principaux effets de la spéculation financière sont beaucoup moins positifs :
  • la spéculation financière accélère la concentration des richesses car, à ce jeu, le plus riche gagne ;
  • elle concurrence les activités productives car celles-ci sont généralement à la fois plus risquées et moins rémunératrices ;
  • elle oriente les activités productives vers les industries du luxe, plus rentables car moins sensibles à l'effet prix ;
  • elle maintient les taux de profit et donc le coût du capital à des niveaux élevés.
Ce dernier point est particulièrement important et lourd de conséquences à long terme. En effet, d'une part un coût du capital élevé étouffe l'investissement productif et donc la croissance, d'autre part il interdit le développement des techniques à haute intensité capitalistique, pourtant les plus productives, ce qui se traduit par un appauvrissement général. Au niveau international, il avantage les économies à faible intensité capitalistique et à bas coût du travail aux dépens des économies à haute intensité du travail et à salaires élevés.

Le pouvoir monétaire

La mondialisation, de par la libre circulation des capitaux et le développement des paradis fiscaux, a rendu très difficile le contrôle du système monétaire par les banques centrales. Les banques privées ont donc largement contribué au développement de la masse monétaire qu'a connu le monde ces dernières années. Ce développement a naturellement bénéficié principalement aux actionnaires des banques, mais pas seulement.
Ces dernières années, le système bancaire a massivement créé de la monnaie, non en accordant des crédits, mais en achetant des titres financiers. En procédant ainsi, elles s'attribuent sans contrepartie une part des actifs disponibles sur le marché, ce qui pourrait être perçu comme un vol par les autres propriétaires d'actifs. Pourtant, il n'en est rien. En effet, les achats de titres financiers génèrent une hausse des cours qui se diffuse progressivement à l'ensemble des actifs non produits. Or, les actifs sont d'abord une réserve de valeur pour ceux qui les détiennent, c'est-à-dire que les propriétaires d'actifs jugent de leur valeur par leur pouvoir d'achat en biens et services, si bien que la hausse des cours des actifs leur apparaît positive.
La monnaie émise à l'occasion des achats de titres par les banques est, dans sa plus grande part, conservée par les agents économiques pour effectuer leurs opérations financières, seule une part relativement faible est injectée dans le circuit de la consommation et principalement sous forme d'achat de biens de luxe ne figurant pas dans les indices officiels de prix à la consommation. La création monétaire par achat de titres financiers est donc peu inflationniste.
La création monétaire modifie les rapports entre ceux qui produisent la richesse et ceux qui la détiennent
La création monétaire par achat de titres correspond à une acquisition sans contrepartie de droits potentiels sur les produits disponibles sur le marché. Tant que ces droits restent potentiels, ils ne génèrent pas d'inflation mais seulement une hausse des cours des actifs financiers, si bien que la création monétaire ne semble pénaliser personne. À l'inverse, lorsque la création monétaire est la contrepartie d'acquisition de produits comme c'est le cas lors du financement monétaire des déficits publics, elle se traduit par de l'inflation, c'est-à-dire par une hausse des prix des produits par rapport aux prix des actifs financiers. Celui qui détient le pouvoir d'émission monétaire ne se contente donc pas d'en tirer profit pour son propre compte, il modifie aussi les rapports entre le travail et le patrimoine, c'est-à-dire entre ceux qui produisent la richesse et ceux qui la détiennent.
À cause de la spéculation, la croissance de la masse monétaire n'est plus favorable à l'investissement
La création monétaire est généralement présentée comme favorable à l'investissement. Du fait du développement des activités spéculatives, ce n'est plus le cas. En effet, la croissance de la masse monétaire a des impacts différents sur le taux de profit des activités productives et des activités spéculatives. Dans les activités productives, la croissance de la masse monétaire provoque une hausse du cours des actions mais elle n'a pas d'impact direct sur les bénéfices, elle se traduit donc par une baisse des taux de profit. Dans les activités spéculatives, ce n'est pas le cas. En effet, le taux de profit dépend uniquement des fluctuations relatives des cours et est indépendant de leur niveau absolu. Par exemple, une action achetée lorsque l'indice de son cours est à 100 et revendue lorsqu'il est à 110 génère un profit de 10% et cela que le cours initial soit de 1000, de 2000 ou de 3000.
La croissance de la masse monétaire fait donc baisser le taux de profit dans les activités productives et le laisse inchangé dans les activités spéculatives. Par conséquent, elle pénalise les activités productives et étouffe la croissance, ce qui se traduit par du chômage et la baisse des salaires.
Ainsi, en favorisant la hausse des cours des actifs financiers et la baisse des salaires, la financiarisation de l'économie creuse, lentement, insidieusement, mais inexorablement, les inégalités sociales.
Mais on peut aller plus loin : la création monétaire constitue une subvention à la consommation des ménages les plus riches. En effet, si l'on considère le système financier comme une boîte noire, on s'aperçoit que, d'un côté, les banques injectent de la monnaie dans l'économie en achetant des titres financiers et que, de l'autre, les ménages les plus riches récupèrent une partie de la monnaie émise en vendant des titres. Ce qui est remarquable ici, c'est que la création monétaire se traduit aussi par une hausse des cours des titres et donc des plus-values qui permettent aux ménages de vendre une partie de leurs titres sans s'appauvrir. Tout se passe donc comme si les banques donnaient de la monnaie aux plus riches pour qu'ils puissent consommer et cela sans aucune compensation réelle.
En d'autres termes, la planche à billets ne finance plus les dépenses publiques mais la consommation et l'enrichissement des plus riches.
Cette dépense des plus riches induite par la création monétaire peut même prendre le rôle de demande primaire en se substituant à l'investissement productif. En effet, s'il est difficile d'admettre que la croissance des cours des actifs puisse se poursuivre indéfiniment, il faut être conscient qu'une crise financière brutale permet de régénérer le système. Par exemple, une chute imprévue du cours des actifs de 50% sera considérée comme une perte en capital, si bien que la poursuite d'une politique monétaire expansionniste se traduira par des perspectives de croissance durable des cours, c'est-à-dire par des plus-values assimilables à des revenus et donc par une reprise de la consommation.

Un problème politique

Ce que vivent la majorité des pays développés est donc une longue dégradation entrecoupée de quelques crises aiguës et non pas la phase dépressive d'un cycle économique qui serait nécessairement suivie d'une phase d'expansion.
Cette dégradation n'est pas la conséquence d'un quelconque phénomène naturel, mais de la mise en place de nouvelles règles démocratiquement acceptées par les peuples qui en souffrent. Ces nouvelles règles sont au nombre de trois :
  • la libéralisation des mouvements de capitaux ;
  • le développement de la spéculation financière ;
  • la création monétaire par achat d'actifs financiers.
Si ces nouvelles règles ont été acceptées, c'est parce qu'elles paraissaient indispensables au bon fonctionnement d'une économie de marché et que celle-ci sortait victorieuse de sa confrontation avec le monde communiste.
L'efficacité d'une économie de marché repose avant tout sur la liberté des échanges. Le principe est très simple à comprendre et c'est ce qui fait sa force. Si tous les agents économiques disposent de biens qu'ils sont libres d'échanger, ils n'entreprendront aucun échange qui irait à l'encontre de leurs intérêts et les seuls échanges effectivement réalisés seront ceux qui amélioreront la situation des différents intervenants. Ainsi, une restriction à la liberté des échanges ne peut qu'être nuisible puisqu'elle risque de s'opposer à certaines améliorations possibles.
Il est cependant utile de replacer la liberté des échanges dans le cadre d'une économie de production. Si la liberté des échanges est particulièrement utile dans ce cadre, c'est parce qu'elle permet la spécialisation des producteurs. Chacun produit dans le domaine où il est le plus performant et reçoit en échange les produits qui lui sont les plus utiles. Là encore, le principe est suffisamment simple pour être compris de tous et il apparaît difficilement discutable. De plus, le marché peut se parer d'une certaine aura morale puisque c'est seulement en satisfaisant d'abord les besoins des autres que l'on peut satisfaire ses propres besoins.
Pourtant, cette présentation ne prend en compte qu'une partie de la réalité. En effet, la question du savoir apparaît ici fondamentale car, pour produire efficacement, il faut savoir quoi produire et comment produire. Pour savoir quoi produire, il faut réaliser des études de marché ou développer ses réseaux de relations, pour savoir comment produire, il faut étudier, acquérir de l'expérience et développer la recherche-développement.
Tous ces savoirs sont décisifs car d'eux dépendent très largement les avantages qu'un agent peut retirer du marché. Mais, ce qui est commun à tous ces savoirs, c'est que l'agent qui les détient n'a aucun intérêt à les diffuser, le monopole de détention du savoir permettant soit de vendre à des prix supérieurs, soit d'acheter à des prix inférieurs. La liberté d'action laissée aux agents va donc à l'encontre de ce que les économistes appellent une situation de concurrence parfaite, c'est-à-dire une situation où tous les agents économiques disposent d'une information parfaite.
Il s'ensuit que les décisions individuelles ne vont pas nécessairement dans le sens de l'intérêt général. Ce qui est vrai pour le savoir l’est également pour les ressources naturelles. Pour vivre, les hommes doivent impérativement pouvoir accéder aux ressources naturelles comme l'eau et la terre. Or, dans une économie de marché, ces ressources appartiennent majoritairement à des propriétaires privés, c’est-à-dire des personnes à qui la société reconnaît le droit de priver les autres de l'accès à leur propriété, en l'occurrence les ressources naturelles.
Celui qui n'est pas propriétaire dépend donc pour vivre de la bonne volonté de ceux qui le sont. La question de l'utilité de la propriété privée a fait l'objet de très vifs débats mais, ce qui est certain, c'est que la propriété donne à celui qui la détient un pouvoir qui peut être monnayé et qui prend donc le caractère général du pouvoir que donne l’argent.
Dans une économie monétaire, l’accumulation du savoir et des ressources naturelles apparaît alors comme un enjeu de pouvoir. Ce qui amène à une question fondamentale : quels buts animent vraiment les hommes ? Pourquoi veulent-ils toujours davantage de richesses, davantage de pouvoir ?
Les économistes répondent le plus souvent que les hommes cherchent avant tout à améliorer leur bien-être par la consommation, si bien que celle-ci serait la finalité de l'activité économique. Pourtant, dans le monde réel, il est évident que de nombreux hommes visent, non le bien-être, mais le pouvoir. Recherche du pouvoir et recherche du bien-être ne sont pas nécessairement incompatibles mais elles le sont parfois. Le plus souvent, ceux qui estiment être en position d'accéder au pouvoir en font leur objectif principal, les autres se contentent d'aspirer au bien-être. En termes économiques, la recherche du pouvoir se traduit par un désir d'accumulation, la recherche du bien-être par un désir de consommation.
Ce que dit la théorie keynésienne, c'est que l'accumulation et la consommation, c'est-à-dire le désir de pouvoir et le désir de bien-être, sont condamnées à évoluer de pair. Mais, derrière ces concepts, il y a des groupes sociaux. Même si tous aspirent à l'accumulation et à la consommation, l'accumulation est principalement le fait des classes supérieures et la consommation celui des classes moyennes et populaires. La relation liant l'investissement et la consommation crée donc une sorte de solidarité objective entre classes sociales qui se concrétise par un sentiment d'appartenance à une même nation, celle-ci étant dirigée par un État qui peut alors légitimement prétendre agir dans le sens de l'intérêt général.
Mais cette solidarité a un coût pour les classes supérieures, la consommation des classes moyennes et populaires mobilise une part croissante des ressources naturelles, ce qui réduit d'autant la part laissée à la satisfaction de leurs propres besoins et rend difficile le maintien de l’écart entre classes sociales. Aussi, les classes supérieures ont-elles cherché à se dégager de cette solidarité contrainte qui leur apparaissait de plus en plus pesante. La mondialisation et la financiarisation de l'économie sont les deux moyens qu'elles ont trouvés pour y parvenir.
Pour les classes supérieures, les classes moyennes et populaires nationales, essentiellement composées de salariés, n’apparaissent plus comme le moteur de la croissance et donc des profits, mais comme des coûts qu’il faut réduire, l’Etat n’est plus perçu comme le représentant de l’intérêt général mais comme un prédateur dont il faut se préserver.
Si la mondialisation et la financiarisation ont été largement acceptés, c'est parce que, dans un premier temps, elles se sont concrétisés pour la majorité par un surcroît de bien-être qui a occulté, ou fait accepter, la perte de pouvoir qu'elle impliquait. Mais ces deux phénomènes ont surtout été rendus possibles par la victoire idéologique des classes supérieures.
C'est au nom des principes de fraternité, d'ouverture sur l'autre, de paix entre les peuples, c'est-à-dire au nom des valeurs dominantes chez les classes inférieures que s'est faite la mondialisation. C'est au nom de la liberté individuelle et du droit de propriété que s'est faite la financiarisation de l'économie.
Le problème est qu’en acceptant d’appliquer le principe universel de liberté aux mouvements de capitaux, les classes moyennes et populaires n’ont pas compris qu’elles coupaient de ce fait le lien objectif de solidarité qui les unissait aux classes supérieures. Et surtout, elles n’ont pas compris qu’en rompant ce lien, elles perdaient tout accès au savoir et aux ressources naturelles, elles n’ont pas compris qu’elles bénéficiaient jusqu’alors d’un accès indirect à ces ressources uniquement parce que les classes supérieures ne pouvaient les utiliser que par leur intermédiaire, elles n’ont pas compris qu’en laissant la liberté aux capitaux elles devenaient de véritables prolétaires.
Celui qui ne possède rien ne peut espérer aucune bienveillance de la part de ceux qui possèdent tout. Son seul espoir ne peut venir que de l’Etat, c’est-à-dire, dans un régime démocratique où chaque homme vaut une voix, de la force collective que donne le nombre. Encore faut-il qu’il ne renonce pas pour cela à ses valeurs, plus précisément à ses valeurs à portée universelle car, ne disposant d’aucun avantage particulier, seules les lois s’appliquant à tous peuvent le protéger.
Cela n’implique pas qu’il accepte, par solidarité, de descendre au niveau des plus miséreux, cela implique simplement qu’il puisse proposer un modèle potentiellement applicable par tous. Cela suppose qu’il puisse reconquérir ses droits à l’accès au savoir et aux ressources naturelles par des méthodes adaptées à notre temps.

Les trois pouvoirs

Le linguiste Georges Dumézil a montré que de nombreux mythes indo-européens étaient sous-tendus par une division de la société en trois classes caractérisées par les figures du guerrier, du prêtre et du paysan. En France, avant la Révolution, ces trois classes correspondaient respectivement à la Noblesse, au Clergé et au Tiers-Etat. Aujourd’hui cette division en classes a disparu mais il reste utile de considérer que les trois figures du guerrier, du prêtre et du paysan, correspondent à trois pouvoirs, le pouvoir militaire, le pouvoir idéologique et le pouvoir économique.
Ces pouvoirs correspondent à trois fonctions qui doivent impérativement être assumées dans toute société, quelle que soit son organisation. Le pouvoir militaire assure la défense de la société par la force, le pouvoir économique prend en charge ses besoins primaires et son bien-être, le pouvoir idéologique est responsable de la cohésion de la société. Chaque pouvoir a ses propres règles, sa propre logique, si bien qu’une société ne peut fonctionner efficacement que si les trois pouvoirs ne sont pas liés par de strictes relations hiérarchiques mais conservent une certaine autonomie et travaillent en étroite collaboration.
Chaque pouvoir est indispensable au fonctionnement de la société, il suffit que l’un seul d’entre eux soit défaillant pour que la société se disloque et disparaisse. C’est là un point essentiel. Si le pouvoir militaire est défaillant, la société sera détruite par ses ennemis car ceux-ci ne manquent jamais, si le pouvoir économique faiblit, il ne sera plus en mesure de financer les deux autres et la société s’écroulera.
Le pouvoir idéologique est également essentiel, d’une part pour rappeler la nécessaire solidarité qui doit unir les trois pouvoirs, d’autre part pour assurer la cohésion entre dominants et dominés. Tout pouvoir présente nécessairement deux faces indissociables, l’oppression et l’utilité commune. Pour assurer la cohésion sociale, il est impératif que l’utilité commune puisse apparaître l’emporter sur l’oppression, si bien que le pouvoir idéologique doit mettre en avant cet aspect par son discours et rendre son discours crédible en édictant des règles qui limitent l’oppression et renforcent l’utilité commune. Si le pouvoir idéologique échoue dans l’une de ses deux missions, c’est la cohésion et donc l’existence même de la société qui seront, à terme, condamnées.
Aujourd’hui, les peuples des pays démocratiques ont très largement renoncé à contrôler le pouvoir économique mais ils ont gardé l’illusion de pouvoir conserver le contrôle des deux autres. Nous vivons la mort de cette illusion. La concurrence entre les Etats démocratiques les oblige à réduire leurs dépenses, notamment les dépenses d’éducation indispensables à la cohésion sociales et les dépenses militaires, ce qui pourrait apparaître comme un point positif si d’autres formes d’organisation et des Etats moins démocratiques ne développaient leur propre pouvoir de destruction.
Si cette tendance se poursuit la démocratie ne sera bientôt plus qu’une coquille vide et ne tardera pas à disparaître totalement. Pour l’éviter, il n’y a qu’une seule solution, les peuples doivent impérativement reconquérir les trois pouvoirs, notamment le pouvoir économique qu’ils avaient pensé pouvoir abandonner. Cela suppose de nationaliser une part significative de l’économie car la nation est le fondement de la démocratie, mais nationaliser ne signifie pas nécessairement étatiser.

Reprendre le contrôle de la finance

La financiarisation de l'économie se traduit par une concentration croissante de la richesse
La financiarisation de l'économie se traduit par une concentration croissante de la richesse. Celle-ci modifie sensiblement le fonctionnement de l'économie. En effet, la consommation des plus riches est relativement indépendante de leur revenu, si bien qu'elle constitue une demande primaire qui va stimuler la production et donc l'activité dans l'ensemble de l'économie. En retour, les ménages les plus riches reçoivent des revenus de la propriété et des profits tirés de la spéculation. Cette demande primaire des plus riches peut se substituer à l'investissement net, c'est-à-dire que si elle continuait à se développer, elle pourrait, à terme, maintenir l'activité en l'absence de croissance et poursuivre durablement le creusement des inégalités sociales.
Cette concentration continue de la richesse est incompatible avec la démocratie car elle conduit inéluctablement à la formation d'une caste internationale disposant de toutes les richesses et de tous les pouvoirs.
Seule une action politique forte peut alors s'opposer à cette évolution. Elle doit nécessairement s'appuyer sur une reprise en main de la finance passant par la lutte contre la spéculation et le contrôle de la création monétaire.
Les moyens de lutte contre la spéculation sont bien connus, ils consistent principalement en la taxation des transactions financières. Cependant, il est difficile d'envisager une taxation imposée à l'ensemble des pays, aussi une action complémentaire est indispensable.
La spéculation financière a pour principal effet négatif de maintenir le coût du capital à des niveaux élevés
Outre son rôle dans la concentration des richesses, la spéculation financière a pour principal effet négatif de maintenir les taux de profit et donc le coût du capital, à des niveaux élevés, ce qui étouffe l'investissement productif, un pays démocratique doit donc les faire baisser en-dessous des niveaux mondiaux. Dans une économie libérale où les capitaux circulent librement, ce n'est pas possible car les capitaux vont naturellement là où ils sont le mieux rémunérés.
Une première solution consiste en l'instauration d'un contrôle des mouvements de capitaux. Cette politique qui a longtemps été pratiquée par de nombreux pays est aujourd'hui condamnée par des traités internationaux qu'il serait très difficile ou très long d'abroger, si bien que des politiques alternatives doivent être mises en place.
Ces politiques alternatives peuvent s'appuyer sur une faiblesse du système monétaire international actuel. En effet, les politiques libérales ont conduit à réduire le rôle de l'État dans le contrôle des banques, ce qui s'est traduit par une grande opacité et une perte de confiance des épargnants envers les banques. Cette perte de confiance a un coût, une prime de risque exigée par les épargnants, qui se concrétise par des taux d'intérêt plus élevés.
Or, une banque est d'autant plus sûre que ses actifs sont importants et diversifiés et que leur qualité peut être contrôlée. Idéalement, le système bancaire le plus sûr serait donc composé d'une seule banque jouant à la fois le rôle de banque centrale et de banques de dépôts.
Un pays doté d'un système bancaire unifié disposerait d'un avantage certain sur les autres pays car il pourrait faire baisser son coût du capital en-dessous du niveau mondial. Toutefois, pour que cela soit possible, une condition supplémentaire s'impose, le système bancaire doit être public car une banque privée placerait ses fonds là où ils sont les plus rémunérateurs, c'est-à-dire à l'étranger. L'avantage de la banque en termes de sécurité ne se traduirait alors pas par une baisse du coût du capital mais par une hausse des profits de la banque.
Un système bancaire composé d'une banque unique soulèverait inévitablement la question de son caractère monopolistique et donc de son efficacité économique. Cependant, un système monétaire public n'implique pas la disparition des banques de dépôts privées, il suffirait de leur ôter leur pouvoir de création monétaire en leur imposant des taux de réserve obligatoires proches de 100%. Dans ce système préconisé dès 1935 par l'économiste américain Irving Fisher, les banques de dépôts privées seraient alors rémunérées, non plus par les crédits qu'elles accordent, mais par des commissions versées par la banque centrale.
L'introduction dans le système de plusieurs fonds d'investissement servant d'intermédiaires entre la banque centrale et les entreprises serait un moyen de maintenir la concurrence nécessaire à l'efficacité de l'économie. Il suffirait pour cela que les fonds d'investissement, bien que financés par la banque centrale, puissent prendre leurs décisions en toute indépendance en se basant exclusivement sur des considérations d'ordre économique.
Une indépendance réelle supposerait toutefois que la banque centrale ne puisse pas décider de la répartition de ses ressources entre les différents fonds. Celle-ci pourrait être faite sur une base égalitaire, mais, puisqu'il serait préférable d'attribuer davantage de ressources aux fonds les plus performants, la répartition pourrait se faire sur la base de critères de performance définis à l'avance ou bien être décidée par d'autres agents que la banque centrale. Avec les technologies modernes de l'information, il n'y a plus guère de limite au nombre d'agents, si bien qu'il serait possible d'accorder aux citoyens le pouvoir de décider la répartition des ressources de la banque centrale. Puisque l'efficacité économique impose que celui qui prend une décision en subisse les conséquences, positives ou négatives, il serait alors impératif que les agents décidant l'affectation des fonds en reçoivent également le produit.

Une économie compétitive

La mondialisation doit principalement son succès à la spécialisation qu’elle rend possible. Cette spécialisation est incontestablement une source d’efficacité mais elle présente une face négative, la dépendance qu’elle génère. Cette dépendance peut s’avérer désastreuse lorsque, pour une raison quelconque, un produit d’importance stratégique vient à manquer. Ainsi, des taxes sur les importations permettant de réduire les échanges, et donc la dépendance, ne sont pas absurdes, elles ont toutefois un coût en termes d’efficacité qui doit être pesé au regard de la réduction de dépendance qu’elles permettent.
Pour un pays de taille moyenne, il semble cependant illusoire d’espérer se passer des importations, si bien qu’il est nécessaire de les financer par des exportations. De leur niveau dépendra très largement le revenu national, de telle sorte que le maintien de la compétitivité du pays face à ses concurrents sur les marchés mondiaux reste une question clé.

Le partage de la valeur ajoutée

De tout temps, les hommes ont été contraints de s’unir pour produire mais ils sont toujours restés concurrents pour se partager les fruits de leur production. Chaque homme dispose donc de deux moyens pour accroître son revenu, soit contribuer à accroître la production, soit en obtenir une plus grande part.
Lorsque la croissance est faible, il peut paraître rationnel de chercher à accroître sa part de la valeur ajoutée, soit par une stratégie individuelle, soit par une action collective. À long terme, cependant, cette lutte pour le partage de la valeur ajoutée apparaît stérile, voire contreproductive, générant une perte de compétitivité face à ceux qui savent partager la valeur ajoutée de manière moins conflictuelle. En effet, lorsque chacun ne peut espérer accroître son revenu qu’en développant la valeur ajoutée, tous participeront à l’effort collectif.
Concrètement, les entreprises dont les rémunérations du travail et du capital sont contractuellement déterminées par une part de la valeur ajoutée ont le plus de chances d’être, à terme, compétitives face à celles dont les salaires sont déterminés par le marché de l’emploi. De plus, elles sont incitées à faire porter leurs efforts en vue d’améliorer leur compétitivité davantage sur le plan de la qualité que sur celui des prix car c’est ainsi qu’elles ont le plus de chances d’accroître leur valeur ajoutée par tête.
Mais, pour que de telles entreprises se développent, il est indispensable que les salariés puissent entretenir une relation de long terme avec leur entreprise. En effet, dans le cas contraire, les salariés seraient amenés à quitter leur entreprise lorsque la part de la valeur ajoutée revenant aux salariés s’éloignerait significativement du salaire déterminé par la marché de l’emploi, leur départ serait volontaire si leur part de valeur ajoutée était trop faible, il serait provoqué par des licenciements dans le cas contraire.
L’État joue un rôle déterminant pour rendre possible de telles entreprises. Il doit, en effet, adapter le droit du travail et les règles d’indemnisation du chômage. En particulier, il doit privilégier l’indemnisation du chômage partiel pour soutenir les entreprises en difficulté car les licenciements pour cause économique cassent les relations de confiance entre les salariés et leur entreprise.
Si l’on compare deux pays, l’un où les salaires sont déterminés globalement par le marché de l’emploi et l’autre où les salaires sont davantage déterminés par les résultats des entreprises, on observera, sur le long terme, que le premier pays est moins compétitif et qu’il est amené à compenser régulièrement son manque de compétitivité par des dévaluations.
Si les deux pays décident de partager la même monnaie, l’ajustement par les dévaluations n’est plus possible, si bien que le premier pays verra son économie se dégrader progressivement, la seule solution pour lui sera alors de développer, à son tour, des entreprises où les revenus des salariés ne sont pas déterminés par le marché de l’emploi mais sont liés à la valeur ajoutée de leur entreprise.

Une économie sans croissance

Une reprise en main du système financier permettrait de mettre fin à la concentration des richesses, elle ne règlerait pas le problème des crises provoquées par le blocage de la croissance.
En effet, une économie en stagnation implique la stabilisation du niveau du capital physique des entreprises, c'est-à-dire un investissement net nul. À cet investissement net nul correspond nécessairement une épargne des ménages nulle, c'est-à-dire aucune possibilité d'enrichissement global, l'enrichissement des uns ne pouvant se faire qu'au détriment des autres. Or, pour continuer à s'enrichir, les ménages vont réduire leur consommation. En procédant ainsi, ils n'augmentent pas leur épargne mais ne font que réduire d'un même montant la production et les revenus. L'économie ne peut alors se stabiliser que lorsque les ménages seront suffisamment pauvres pour être contraints de consommer tout leur revenu.
En période de stagnation, les volontés d'enrichissement sont impossibles à satisfaire pour tous
Au cours des siècles précédents, en période de stagnation ou de récession prolongées, les volontés d'enrichissement impossibles à satisfaire pour tous ne pouvaient donner lieu qu'à des conflits qui prenaient la forme de guerres ou de pillages. Les patrimoines confisqués aux vaincus étaient alors dépensés par les vainqueurs sous forme de revenus distribués à leur troupes, ce qui contribuait à stimuler l'activité économique.
Les mêmes causes peuvent aujourd'hui produire les mêmes effets mais il existe des solutions plus pacifiques. Elles reposent sur l'acceptation de l'impossibilité de l'enrichissement global lors des périodes de stagnation et sur la nécessité pour la société de s'organiser en conséquence.
Si la possibilité d'enrichissement au cours d'une vie peut apparaître comme un stimulant utile à la société, on ne peut oublier que toute vie a une fin. À ce moment précis, le patrimoine du défunt doit nécessairement être redistribué. Deux solutions sont alors possibles, soit le patrimoine est préservé et est simplement transmis à un autre, soit il est redistribué sous forme de revenus. Seule la deuxième solution a un impact positif sur l'activité économique grâce aux revenus qu'elle génère, les vivants peuvent alors continuer à s'enrichir grâce à l'appauvrissement des morts.
Concrètement, seul l'État est capable d'organiser cette redistribution de manière pacifique. Le prélèvement sur le patrimoine prend alors la forme de droits de succession, sa redistribution celle de dépenses publiques. Le taux des droits de succession devrait être calculé de manière à avoir un impact suffisamment positif sur l'activité économique. L'instauration d'une taxe progressive sur les patrimoines peut également avoir un effet positif en limitant l'enrichissement des ménages.

Le rôle de la banque centrale

Si, pour des raisons politiques, un pays ne parvient pas à imposer des droits de succession suffisants, il lui est possible d'adopter, en complément, une politique de déficit public contrôlé. Pour être durable, le déficit doit alors être financé, non par emprunt sur le marché, mais par création monétaire ; pour ne pas être trop inflationniste, il doit rester modéré. En pratique, cela suppose l'indépendance de la banque centrale car l'expérience a montré que de nombreux États ont eu, dans le passé, tendance à abuser du financement monétaire car il constitue un moyen détourné et relativement indolore de financer leurs dépenses.
L'indépendance de la banque centrale a pour corollaire la possibilité de faillite de l'État. Aussi, pour éviter un surendettement potentiellement explosif qui pourrait amener le pays à la banqueroute, il est également impératif que l'État s'interdise toute autre source d'emprunt, c'est-à-dire que seule la banque centrale doive avoir le droit d'accorder des crédits à l'État.
Si la banque centrale est commune à plusieurs pays, comme c'est le cas dans la zone euro, les règles doivent être suffisamment strictes pour éviter des dérapages mais elles devraient fixer non seulement un plafond au déficit autorisé, mais aussi un plancher. En effet, un pays à fort excédent budgétaire pèse sur la croissance de l'ensemble et pénalise les autres. Par exemple, il serait raisonnable de fixer pour le déficit public un plafond à 3% du PIB, un plancher à 1% du PIB et une moyenne sur cinq ans à 2% du PIB.
Ces déficits permettraient de soutenir la croissance tout en contenant l'inflation à un niveau acceptable.
Puisque les pays sont déjà endettés, la banque centrale devrait, pour maintenir son monopole de prêt à l'État, financer non seulement le déficit public, mais également accorder des crédits en remplacement des crédits venant à échéance. En contrepartie, la banque centrale pourrait émettre des emprunts sur le marché afin d'éviter de faire croître la masse monétaire.
Lorsque les États sont très endettés envers le secteur privé comme c'est le cas dans la zone euro, la banque centrale peut également contribuer au remboursement de leur dette en rachetant, par création monétaire, des titres de dette publique. Cette politique a, comme tout achat de titres par le système bancaire, pour principal effet de faire monter le cours des actifs financiers et a peu d'impact sur l'inflation. Dans la zone euro, puisque la valeur des actifs financiers représente environ 10 fois le PIB, une politique de rachat de dette publique de l'ordre de 5% du PIB, comme l'a fait la Banque centrale européenne en 2015 et 2016, apparaît raisonnable et devrait être systématisée à l'avenir.

Réduire la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures

L'autre défi à relever pour les démocraties est celui de leur indépendance énergétique ou, plus précisément, de leur indépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Actuellement, de nombreux pays sont contraints d'acheter leur pétrole en cédant des actifs, c'est-à-dire en vendant leur patrimoine, car les principaux pays pétroliers, très riches, ne souhaitent pas consommer tout leur revenu. En conséquence, ils veulent échanger une partie de leur pétrole, non contre des biens et services, mais contre des actifs financiers. Cela a pour conséquence un impact durablement négatif sur l'activité économique.
Sortir de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures n'est pas simple et suppose un effort considérable en recherche et en investissements, mais c'est une condition nécessaire pour sortir durablement de la crise.


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