jeudi 15 octobre 2015

La mondialisation de la production

Les délocalisations  :

La mondialisation est un phénomène qui concerne l'économie dans sa globalité. Les altermondialistes mettent bien souvent l'accent sur la mondialisation du capital financier, c'est une dimension qui présente en effet de nombreux risques pour l'économie mondiale, crises monétaires, boursières, pouvant aller jusqu'à un effondrement du système financier généralisé à l'ensemble de la planête. Or, pris isolément, le capital financier n'est rien que du papier, des titres de propriétés d'entreprises (actions), ou des reconnaissances de dette. Ce qui donne sa valeur à ce papier se situe au delà du système financier, dans l'entreprise productrice de biens et de services, ou dans l'existence de revenus qui permettront de rembourser les dettes. Le capital financier est donc indissociable de l'entreprise et de la production, sa mondialisation implique alors la mondialisation de la production.
Le capital financier originaire d'un pays A, qui va s'investir dans un pays Z, doit pouvoir dégager son profit et le rapatrier dans son pays d'origine. Le pays Z doit donc posséder les devises nécessaires pour payer ce profit, et pour cela il doit produire et exporter. La libéralisation du capital financier va donc inévitablement de pair avec la libéralisation de la production et de la circulation des marchandises.
 La déferlante libre-échangiste associée à la mondialisation n'est pas la première dans l'histoire du capitalisme. Elle succède à celles des périodes 1830-1870, puis 1918-1929, qui se sont toutes deux terminées dans une profonde dépression économique. Celle-ci s'en différencie par son ampleur, permise par le progrès technologique dans les transports et dans les modes de production, et par la consommation massive de biens issus de la production industrielle. Dans la dernière partie du 20ème siècle, il est devenu très facile d'implanter des sites de production industrielle, et d'exporter les marchandises ainsi produites, partout sur la planète. Les portes se sont grandes ouvertes pour la mondialisation de la production et ses vagues de délocalisations.
 La mondialisation de la production est un mouvement puissant, qui a commencé il y a trois décennies. Axé au départ sur des productions industrielles de "faible technologie", il s'est maintenant étendu à la production de biens "haut de gamme", aux services, et à la recherche et développement,.( voir : Du secteur industriel à celui de la recherche et développement)
Les délocalisations d'entreprises ne sont qu'une partie visible d'un phénomène beaucoup plus profond. L'essentiel de la délocalisation se fait de manière plus discrète, par l'intermédiaire de la distribution ou de la sous-traitance. (voir : Les différentes formes de délocalisations).
 La propagande néolibérale a beau vanter les bienfaits de la mondialisation et trouver de bons côtés aux délocalisations (voir : Les arguments "pro-délocalisations"), leur impact négatif sur l'emploi reste incontestable. (voir : Conséquences sur l'emploi)
 Si la mondialisation n'a guère profité aux pays pauvres, elle a néanmoins permis la rapide émergence d'un "monstre économique" : la Chine (voir : La Chine dans l'économie mondiale). Les déséquilibres commerciaux en forte croissance, la désindustrialisation des pays riches, aussi bien que les risques pour nos emplois, nécessiteraient des réponses crédibles et urgentes à la question desa question des délocalisations de production prend une importance croissante au fur et à mesure que la mondialisation suit son cours. Elle a pris toute sa place durant la campagne référendaire sur la Constitution Européenne, elle est un sujet de mécontentement populaire qui interpelle chaque acteur politique (partis politiques, syndicats, associations citoyennes). Les approches de réponses sont logiquement diverses suivant les intérêts politiques ou économiques des différences tendances politiques.
Les réponses libérales reposent sur l'acceptation des délocalisations, comme un phénomène inévitable et globalement positif pour l'économie mondiale. Il s'agit donc de ne surtout pas de s'opposer aux délocalisations, mais, au contraire, d'essayer d'en tirer profit. Rappelons que, pour les libéraux, les importations en provenance des pays émergents sont la contrepartie naturelle de nos exportations vers ces pays, et que les pertes d'emplois ne sont que la conséquence de notre inadaptation à la mondialisation. Pour tirer notre épingle du jeu dans ce nouveau contexte, il faut donc savoir s'adapter pour devenir plus compétitif et pouvoir exporter plus facilement.
Plus de compétitivité signifie baisse des prix de nos produits, l'objectif est donc de produire moins cher. Pour l'entreprise, la baisse des coûts de production passe essentiellement par la baisse des coûts salariaux, qui passe elle-même par l'amélioration de la productivité et par la baisse des coûts sociaux.
L'amélioration de la productivité va de pair avec les accroissements de la mécanisation et du rendement des salariés. Elle s'accompagne d'une pression accrue sur les conditions de travail, d'une remise en cause des 35 heures hebdomadaires et du droit du travail. Le rapport Arthuis [1] propose ainsi de " supprimer les fausses protections du droit du travail " qui " constituent autant de freins à l'embauche qu'il convient de lever un à un ". Il remet en cause " les seuils destinés à accorder de nouveaux droits et de nouvelles protections aux salariés" qui " jouent très souvent contre l’embauche". Il s'agit aussi de " favoriser la mobilité géographique des salariés ....  handicap économique pour les entreprises de notre territoire et un facteur particulier de délocalisation.", de mettre en oeuvre " une flexibilité nécessaire des contrats et des horaires."
En ce qui concerne la baisse des coûts sociaux pour les entreprises (ce que les employeurs appellent charges sociales : taxes aux entreprises, versements aux caisses de retraite, de chômage, de sécurité sociale), les propositions libérales vont dans le sens de leur suppression ou de leur transfert aux ménages.
La compétitivité de nos entreprises nationales dépend de leurs possibilités d'investissement, et il reste bien entendu préférable que ces investissements soient d'origine nationale. C'est dans ce sens que les gouvernements libéraux mettent en oeuvre des politiques fiscales favorables à l'actionnariat national. La réforme du barème de l'impôt sur le revenu, favorisant les ménages les plus aisés, ainsi que l'allègement de l'impôt sur la fortune, sont ainsi censés profiter à nos entreprises par l'intermédiaire de l'actionnariat.
Non seulement les mesures libérales ne montrent guère d'efficacité dans la lutte contre les délocalisations, mais elles génèrent ce qu'on appelle du "dumping social". C'est à dire un alignement vers les standards des pays émergents, et donc un abaissement de nos propres standards économiques et sociaux. La flexibilité, la course aux rendements, les facilités de licenciement sont des reculs qualitatifs pour les salariés. Les exonérations fiscales accordées aux entreprises et à leurs actionnaires signifient moins de financement pour la redistribution sociale. C'est moins d'argent pour les caisses de retraites et de chômage, pour la santé, pour l'éducation, pour l'aide sociale, ce qui entraîne des charges supplémentaires ou des diminutions de revenus pour les citoyens les plus pauvres. Les mesures gouvernementales consistant à diminuer les remboursements de soins médicaux, à baisser les indemnités de chômage, à supprimer des postes d'enseignants, à augmenter le coût des études universitaires, à privatiser les services publics, ont pour premier effet d'amplifier les inégalités sociales. Ces mesures s'ajoutent aux autres mesures libérales allant quasiment toutes dans le même sens : celui de la régression sociale, celui du retour vers une conception archaïque de la société où régnait le chacun pour soi au grand bénéfice des plus riches.



Les réponses protectionnistes visent à mettre en oeuvre des mesures s'opposant aux délocalisations. Elles peuvent aller de l'interdiction de délocaliser, à la mise en place de barrières douanières pouvant prendre diverses formes : quotas à l'importation, normes et règlementations contraignantes, ou taxes diverses.
Remarquons d'abord que l'interdiction de délocaliser ne peut seulement concerner que les délocalisations directes, lesquelles ne représentent qu'une petite partie des délocalisations de production, l'essentiel des délocalisations se faisant de manière indirecte par le biais des délocalisations de sous-traitance ou par la distribution. Cette interdiction aurait donc très peu d'effet sur les délocalisations. D'autre part, l'entreprise qui délocalise le fait afin de réduire ses coûts de production, le tout dans un contexte de très forte concurrence, et le fait qu'elle fasse éventuellement des profits l'année où elle délocalise ne veut pas dire qu'elle ne sera pas en difficulté dans les années suivantes. Une interdiction de délocaliser pourrait alors être un handicap très lourd pour cette entreprise, susceptible d'aggraver ses difficultés et même de menacer son existence. Ce qui pourrait alors aboutir à des pertes d'emplois finalement supérieures à celles que cette interdiction voulait précisément éviter.
Les mesures de taxes à l'importation, ou d'aides publiques aux entreprises nationales menacées par la concurrence à bas coût, visent à réduire la différence entre les prix de vente des biens produits par nos entreprises nationales et ceux des biens importés. Les quotas à l'importation, les "tracasseries administratives" peuvent apporter un peu d'oxygène à certains secteurs en difficulté. Il est vrai que l'exemple du gouvernement Mauroy qui avait tenté de freiner l'arrivée des magnétoscopes japonais en 1982 en les bloquant dans les locaux douaniers de Poitiers s'était soldé par un fiasco, mais on peut toujours imaginer des moyens plus adaptés à la situation présente. On peut penser à des taxes écologiques, à des taxes sociales sur les produits en provenance de pays où les normes sociales sont très basses, et on peut compter sur l'imagination des partisans des taxes financières pour en trouver d'autres.
Seulement, il faut tenir compte du fait que la mondialisation est un processus déjà bien avancé, et que les délocalisations de production ont déjà abouti à une importante désindustrialisation. De nombreux produits de consommation des ménages ne sont pas fabriqués en France (secteur de l'électronique), et d'autres relèvent d'une production nationale plus ou moins marginale par rapport à notre consommation (électro ménager, divers biens d'équipement, biens de loisirs). Cette dépendance des importations complique énormément la mise en place de barrières douanières.
 N'oublions pas non plus que la France est membre de l'OMC, comme la plupart des pays de la planète, ainsi que de l'Union Européenne. Or, les mesures protectionnistes sont contraires aux règles de ces institutions prolibérales. Nos gouvernements, de droite comme de gauche, ont signé des accords visant à faciliter le libre échange et à éliminer les barrières commerciales. Le phénomène des délocalisations a déjà pris une très grande ampleur, et vouloir le contrarier par des méthodes protectionnistes impliquerait la mise en oeuvre de mesures très fortes. Des taxes marginales n'auraient guère d'efficacité face à une mondialisation de la production qui n'a aujourd'hui plus rien de marginal. Pour qu'elles soient réellement dissuasives, il faudrait que leur niveau soit suffisamment élevé pour éliminer le différentiel de prix entre les biens importés et ceux produits nationalement, ce qui conduirait à mettre parfois des taxes plus élevées que le prix d'importation du produit. Ces mesures aboutiraient alors à des fortes sanctions de l'OMC et des institutions européennes, et à des mesures de représailles de la part des pays visés par nos taxes. Ce serait alors notre production à l'exportation qui subirait les dommages d'une telle politique, ce qui entraînerait une baisse des parts de marché dans les secteurs concernés, et donc des restructurations avec d'inévitables licenciements. Ce qui nous conduirait : soit à revenir dans la norme libre échangiste actuelle, soit à prendre l'important risque de nous engager encore plus dans un engrenage isolationniste économique et politique.
Pour relocaliser, il faudrait d'abord reconstruire des unités de production, ce qui implique de lourds investissements. Aurons-nous les moyens de les financer ? En ce qui concerne l'électronique, aurons-nous le savoir faire technique ? Des relocalisation de production aboutiraient à des augmentations des prix de vente des produits concernés. La cafetière à 8 euros verrait sans doute son prix multiplié par 2 ou 3, ainsi que le textile et beaucoup d'autres biens. On subirait alors une forte inflation sur de nombreux produits de consommation populaire, au grand détriment du pouvoir d'achat de nos ménages. Ces mesures seraient donc très impopulaires et c'est là une grande force de la mondialisation de pouvoir s'appuyer ainsi sur l'intérêt immédiat des consommateurs. Dans le contexte actuel, il apparaît donc très difficile de faire le choix du protectionnisme, et aucun gouvernement ne s'y risquerait.
Quant à envisager un protectionnisme à l'échelle européenne. C'est sous-estimer le fait que les institutions Européennes sont clairement libérales, et que cette orientation est encore plus difficile à modifier que celle de notre propre gouvernement. Il existe des contradictions d'intérêts nationaux qui bloquent toute évolution tendant à restreindre le libre échange. L'Allemagne exporte et n'a aucun intérêt à contrarier les échanges internationaux. Partout en Europe les consommateurs profitent des bas prix des produits importés des pays émergents. On retrouve à l'échelle européenne les mêmes obstacles au protectionnisme qu'au niveau français, augmentés de difficultés supplémentaires. Imaginer un protectionnisme au niveau Européen est donc encore plus difficile qu'au niveau national. C'est là un projet qui ne peut s'envisager que sur le long terme, alors que la mondialisation de la production s'accélère et que les déséquilibres commerciaux s'accentuent rapidement.
On peut toutefois se dire que l'avenir de la mondialisation est très incertain, et que le contexte actuel ne durera pas. On ne peut pas rationnellement penser que le processus de désindustrialisation que nous connaissons soit soutenable pour notre système économique, ni que les déséquilibres découlant de la mondialisation de la production puissent croître indéfiniment sans atteindre un seuil de rupture.  Il est donc plus que probable, qu'à terme, le choix protectionniste redevienne non seulement possible, mais inévitable, tout comme cela s'est déjà produit à la suite des deux précédentes grandes poussées libérales qu'a connues l'économie capitaliste.
  délocalisations, or, de telles réponses font pour l'instant cruellement défaut. 




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